Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Heïdi Sevestre, une vie au secours des glaciers
Cette glaciologue parcourt le monde pour se rendre au chevet des géants de glace, plus malades que jamais. Témoin de leur agonie, elle pousse un cri d’alarme teinté d’espoir dans son dernier livre.
Quand on lui pose la question, Heïdi Sevestre se définit instinctivement comme une « médecin des glaciers », arpentant le monde, des Andes à l’Himalaya, à la poursuite de ces « colosses aux pieds d’argile » dont la santé décline à vue d’oeil. Elle prend « leur température, leurs constantes, regarde s’ils ont pris ou perdu du poids et pose un diagnostic ». Heïdi ne travaille pas dans un hôpital, mais à ciel ouvert, dans des paysages aussi sublimes qu’hostiles, par - 20 °C. Cette scientifique ne soigne pas les hommes mais les glaciers. Même si la finalité est exactement la même : préserver l’humanité.
Scientifique de l’extrême
Cheveux blonds, coupe courte et dynamique, d’un naturel enthousiaste, la trentenaire est l’un des nouveaux visages de la glaciologie. Elle travaille pour le Conseil de l’Arctique, où elle coordonne la recherche sur le dérèglement climatique. « Les glaciers sont les meilleurs baromètres du climat, illustre-t- elle. Ils rendent visible l’invisible, nous racontent le monde d’hier et de demain si nous savons les interroger. »
Alors Heïdi enfile sa casquette d’aventurière pour aller récolter des données sur le terrain. Il lui faut apprendre à monter une tente avec des moufles, à nager en combinaison de survie ou encore à manier un fusil en cas d’attaque d’ours. « Parfois, c’est juste très dur, on en prend plein la tronche. » Lors d’une expédition au Groenland, par - 45°C, le froid est si saisissant que ses ongles des mains et des pieds se décollent et qu’elle doit les maintenir avec du scotch. « C’est aussi ça la science du climat : aller au péril de notre vie dans des régions très lointaines pour comprendre comment le changement climatique agit. »
À côté de ça, cette citoyenne du monde partage son quotidien entre ses cours à l’université, des tournages de documentaires, mais aussi, et surtout, ses actions de sensibilisation auprès du grand public et des gouvernements.
Et il y a urgence à séduire. Mois après mois, jour après jour, la scientifique voit son sujet d’étude disparaître sous ses yeux. Dans son dernier ouvrage, Sentinelle du Climat, elle se pose en lanceuse d’alerte. « La situation est catastrophique. Tout est rongé, mité par le changement climatique. Ce que nous pensions voir dans 70 à 80 ans est déjà là. Le scénario du pire des cas est en marche. »
Dans bien des pays, ce cri d’alarme résonne comme un écho lointain. Loin des yeux, loin du coeur. Pourtant, « notre avenir dépend des glaciers, ce que je vois à des milliers de kilomètres a des conséquences directes sur nous », insiste la scientifique. Stabilité du climat, réserve majeure d’eau douce, réfléchissement des rayonnements solaires, source d’énergie… Les glaciers nous rendent tout un tas de services essentiels.
Pour Heïdi, pas question de semer la peur ou de culpabiliser, elle entend motiver le passage à l’action : « Je raconte aux gens ce que j’ai vu, pour qu’avec moi, ils regardent en face ce que nous sommes en train de perdre et ce qui nous attend. » Voilà sa mission, le combat de sa vie.
« Tout est encore possible »
Le chemin vers le grand froid était tout tracé pour celle dont le prénom évoque la plus célèbre Suissesse des alpages. Née à Annecy (Haute- Savoie), Heïdi grandit dans un petit village voisin, au pied des montagnes, entre biches, chouettes hulottes et sapins. Son père, informaticien, et sa mère, bibliothécaire, sont des « fous de nature ». La petite fille, qui ne se sent « jamais seule dans les grands espaces », voit naître en elle un amour et un respect pour les paysages enneigés. Puis il y a cette rencontre, déterminante, avec un guide de haute montagne : « Il m’explique qu’il y a des gens qu’on paye pour étudier les glaciers. J’ai 17 ans et je viens de trouver ma voie. »
Elle passe par le lycée agricole local, fait une licence en géographie à Lyon, puis un Erasmus hors norme au Svalbard en Norvège, dans l’université la plus au nord du monde. Elle enchaîne avec un master en glaciologie au Pays de Galles puis un doctorat.
Mais la petite fille des alpages devenue défenseuse des glaces se heurte, au mieux, à la lenteur générale, au pire, à l’immobilisme total. Pourtant, le mal qui tue les glaciers est connu : « Les émissions en quantité de CO2, qui augmentent la température moyenne sur Terre. » Les solutions aussi : « Commencer à se débarrasser, dès aujourd’hui, des énergies fossiles. »
Derrière la dureté du constat d’Heïdi, pointe la force de son optimisme. « Tout est encore possible, nous avons les cartes en main pour sauver l’humanité. Je suis un médecin qui craint que le coeur de son patient ne lâche. Mais l’exercice de la science m’interdit de détourner le regard. Le goût de la vie, aussi. »
Sentinelle du climat, par Heïdi Sevestre avec la collaboration d’Isabelle Marrier, Ed. HarperCollins, 19 €.