Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Près de 70 ans après, Martine toujours à la page
Martine en Bretagne est sorti en librairie le 3 mai. L’occasion de redécouvrir ce personnage iconique de la littérature jeunesse, qui a su traverser les époques et s’adapter à un nouveau public.
La petite fille aux grands yeux est de retour. Après un passage au Louvre puis à Versailles ces deux dernières années, Martine pose cette fois ses valises en Bretagne. Clara, sa meilleure amie, s’est cassé la jambe et a dû annuler son voyage. Martine entreprend donc de lui faire découvrir la région à distance, en lui adressant chaque jour une nouvelle carte postale. De Rennes à Nantes, en passant par Saint- Malo, la forêt de Brocéliande ou Belle- Île- en- Mer, la fillette détaille chaque étape de cette nouvelle aventure. Avec toujours le même enthousiasme et la même soif d’apprendre.
Depuis 1954, date du premier album, la petite héroïne n’a pas vraiment changé. Chevelure impeccable, visage lumineux, jupette colorée… Elle a traversé les époques sans prendre une ride. Et ce grâce, notamment, au talent de Marcel Marlier, l’illustrateur belge qui l’a fait naître dans l’imaginaire des enfants. Même après son décès, ses dessins continuent d’agrémenter chaque nouvel album. Tirés de précédents numéros, ils sont détourés et apposés sur des photographies.
« Lui redonner une forme d’intemporalité »
Les textes, eux, sont désormais écrits par Rosalind Elland- Goldsmith, écrivaine et traductrice. « Elle a parfaitement su se glisser dans les pas de Gilbert Delahaye (l’auteur historique) et de Marcel Marlier… Ce qui est tout un art », raconte Céline Charvet, directrice éditoriale chez Casterman, l’éditeur de la série. Quand, en 2015, a eu lieu la refonte de la collection, Rosalind Elland- Goldsmith s’est chargée de la réécriture des soixante albums d’origine. « L’idée n’était pas de créer une Martine contemporaine, qui se serait démodée à toute vitesse, mais de lui redonner une forme d’intemporalité. » Une adaptation requise par le rajeunissement des lecteurs (âgés de 3 à 6 ans en moyenne), selon une étude de la maison d’édition. Il a donc fallu raccourcir les histoires, devenues trop longues pour cette tranche d’âge. « En revanche, la cote d’amour de Martine est restée incroyablement forte. Et il y a toujours autant de transmission intergénérationnelle, des grands-mères qui les offrent à leurs petites-filles ou des mamans à leurs filles, des adultes qui les achètent par nostalgie », souligne la directrice éditoriale.
Ringarde et rétrograde ?
Il a fallu également s’adapter à l’évolution de la condition des femmes. Martine a régulièrement été accusée de véhiculer des stéréotypes de genre, d’incarner une jeune fille moralisatrice et porteuse de valeurs conservatrices. « Elle est le reflet de la France des années 1950. On ne peut pas lui reprocher de porter un contexte dans lequel elle est née, répond Céline Charvet. Mais elle a su s’émanciper au fil du temps. » Les rééditions successives ont notamment permis de gommer toute assignation à un destin de mère. Martine petite maman est ainsi devenu Martine garde son petit frère, entre autres exemples.
La fillette n’en demeure pas moins populaire. On ne compte plus les pastiches, plus ou moins subtils, parfois grivois, qui la visent. « Dès qu’il y a un événement sociétal, une couverture est détournée, s’amuse Céline Charvet. Elle fait partie de notre imaginaire collectif. » Près de soixante- dix ans après sa naissance, la série est donc loin de s’essouffler. Les albums se sont vendus à 150 millions d’exemplaires dans le monde depuis sa création. Et plus de 400 000 par an. La petite fille se lancera l’année prochaine dans une nouvelle aventure parisienne, avant, peut- être, d’explorer de nouvelles régions dans les futurs albums.