Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Un jeune sur trois sera africain en 2050 »
L’Afrique doit rester une priorité pour la France et pour l’Europe, estime Rémy Rioux, le directeur général de l’Agence française de développement (AFD).
Quelle est la place de l’aide au développement aujourd’hui en France ?
En 2017, le président de la République s’était engagé à ce que la France consacre 0,55 % de notre produit intérieur brut (PIB) à l’aide au développement. Cette promesse a été tenue. Nous en sommes à 0,56 %, soit plus de 15 milliards d’euros, nettement au- dessus de la moyenne mondiale, qui se situe à 0,36 %.
Et en comparaison avec d’autres pays ?
Nous sommes le quatrième pays donateur. En montants, les États-Unis sont en tête de classement, mais ils ne consacrent que 0,15 % de leur richesse nationale à la politique de développement. L’Allemagne fait un remarquable effort et se classe en deuxième position, avec plus de 0,8 % de son PIB. Viennent ensuite le Japon et la France. Le Royaume-Uni a, lui, fortement réduit son aide, comme la Suède hélas. L’Union européenne est de loin la région la plus solidaire, avec près de 50 % de l’aide totale, et cette dernière a dépassé pour la première fois l’an dernier les 200 milliards de dollars (plus de 180 milliards d’euros). La Chine et les pays du Golfe sont bien sûr présents, mais en dehors du cadre international.
Notre pays est-il encore le bienvenu en Afrique ?
Parce que l’AFD est présente partout en Afrique, j’ai un point de vue sans doute un peu décalé par rapport à tout ce que je peux lire sur le retrait de la France et de l’Europe du continent. La France n’a jamais autant investi qu’aujourd’hui en Afrique, y compris dans la zone sahélienne. Ces dernières semaines, j’étais en Mauritanie où, avec notre appui, plus de la moitié de la population a désormais accès à l’assainissement, deux fois plus qu’il y a vingt ans. En République démocratique du Congo (RDC), 200 000 habitants de la ville de Kabinda auront bientôt accès à l’énergie solaire. Au Bénin, nous finançons la réhabilitation du site royal d’Abomey et la construction du musée qui accueillera les oeuvres récemment restituées par la France…
Vous ne sentez pas monter le sentiment anti-français ?
Cette expression n’est pas la bonne. Elle est réductrice et donne l’impression que nous ne parlons toujours que de nous-mêmes. Un grand débat sur les liens entre l’Afrique et la France, passés, présents et futurs, est en cours, lancé par les autorités françaises elles-mêmes. Il est vivant et va permettre, j’en suis certain, de renouveler notre relation. Il est essentiel de parler à la jeunesse africaine, au moment où elle est en train de prendre les responsabilités. Un jeune sur trois sera africain en 2050. Ne l’oublions jamais.
C’est la Chine qui prend le relais de la France ?
Pas du tout. Les flux financiers chinois vers l’Afrique se sont effondrés depuis trois ans et le Covid a refermé, un temps, la Chine sur elle-même. J’étais à Pékin très récemment et mes collègues présidents des banques publiques de développement chinoises font face à la forte montée des risques de non-remboursement des prêts qu’ils ont accordés. Comme nous avons dû le faire nous-mêmes il y a vingt ans, la Chine va devoir restructurer sa dette, dans un cadre multilatéral espérons-le. L’AFD a créé le mouvement Finance en commun, qui rassemble les 550 banques publiques existant dans le monde, pour avoir cette discussion, le moment venu.
Quelle est la place du climat dans l’agenda de l’AFD ?
Il y a deux très grands sujets internationaux aujourd’hui : l’appui aux pays et aux populations les plus vulnérables, c’est-à- dire les pays les plus pauvres et aussi ceux qui sont les plus exposés aux catastrophes climatiques. Car il faut s’adapter aux conséquences sur le développement des chaleurs extrêmes, des cyclones, de l’érosion des sols ou encore de la perte accélérée de la biodiversité. Je pense à l’Afrique à nouveau, confrontée en outre à une grave crise de financement cette année. La France dispose d’un outil respecté et efficace pour agir sur ces deux plans, puisque l’AFD est à la fois une agence qui fait des dons et une banque qui fait des prêts et des investissements. 65 % de nos opérations ont un impact positif pour le climat et toutes contribuent au développement durable.
Où faudrait-il mettre l’accent ?
Il faut faire l’effort partout. Mais l’avenir climatique du monde se joue d’abord en Asie. Si l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam, la Chine maîtrisent leurs émissions, le plus rapidement possible, cela aura des conséquences positives en Afrique et aussi en France. Ce qu’on fait à l’étranger, c’est bien sûr dans l’intérêt de nos amis africains, asiatiques et latino-américains. Mais on le fait aussi dans l’intérêt des Français, y compris en apprenant des pays du Sud et de leurs innovations. Car c’est en Inde qu’on saura, un peu avant nous, ce que c’est que de vivre à 50 degrés sur une longue durée et comment s’y adapter. La prix Nobel d’économie Esther Duflo travaille avec nous à repérer et encourager ces innovations. Et un grand Sommet international se tiendra à Paris les 22 et 23 juin, piloté par l’Inde et par la France, pour bâtir un nouveau pacte financier mondial pour réaliser les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies.
La question des réfugiés climatiques est déjà une réalité ? Autrefois, les gens bougeaient. On les accueillait et, souvent, ils repartaient. Aujourd’hui, ce n’est plus la réalité. Il y a de plus en plus de gens qui fuient l’oppression, la misère et aussi les zones du monde qui deviennent inhabitables à cause du climat. Il faut inventer des réponses nouvelles face à cette situation nouvelle. C’est ce que font ensemble les mondes de l’humanitaire et du développement, qui ont été trop longtemps séparés. L’un se concentre sur les réponses de moyen et long terme, en faisant confiance aux acteurs locaux, et l’autre intervient avec des moyens extérieurs et massifs, pour faire face à l’urgence. Car tous les camps de réfugiés se transforment un jour en ville. Le Comité international de la Croix- Rouge (CICR) et le Haut- Commissariat aux réfugiés (HCR) consultent régulièrement notre Agence pour voir comment transformer ces camps en installant des lignes électriques, des réseaux d’assainissement ou en développant l’entrepreneuriat avec de la micro-finance.