Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Trésor du breton écrit
Ar gerioù-kroaz (Les mots croisés), passe-temps des bretonnants depuis les années trente.
Vulgarisé en France en 1924, les mots croisés deviennent une véritable passion pour des milliers de lecteurs de journaux. En Bretagne, les médias suivent avec retard : L’OuestÉclair publie ses premiers mots croisés à Noël 1930 et La Dépêche de Brest seulement en 1938.
Les journaux bretons ne sont pas en reste, on voit fleurir dans les années trente les premières grilles en breton dans les magazines littéraires Sav et Gwalarn. Ainsi on trouve les définitions suivantes : talvoudus da jedi = niver (pratique pour compter = chiffre) ou encore lakaat en urz = renka (mettre en ordre = ranger) ou encore diaes da zibrada = pounner (difficile à soulever = lourd). On le voit, le but est pédagogique pour des bretonnants qui ne sont pas tous à l’aise pour lire et écrire. Le breton étant toujours interdit à l’école publique dans les années trente.
Les pionniers des mots croisés bretons ont hésité sur la traduction à employer, on trouve successivement ger-kroaz, gerioù-kroaz, gerioù kroaziet, gerioù- e-kroaz. Aujourd’hui la plupart des magazines en breton proposent des gerioù-kroaz. Celui qui joue est un kroazer gerioù (croiseur de mots). Quant au fabricant de grilles de mots croisés, c’est un aozer gerioù-kroaz (verbicruciste). Le dictionnaire de Francis Favereau privilégie un simple paotr ar gerioù-kroaz (le gars des mots croisés), ce qui implique aussi un plac’h ar gerioùkroaz (fille des mots- croisés), plus explicites que le mot français cruciverbiste. C’est d’ailleurs une femme qui signe le premier livre de Gerioukroaz aux éditions Al Lanv (Le flux) en 1999. Les éditions Keit Vimp Bev (Tant que nous serons vivants) en ont un également à leur catalogue.
Mais tous les bretonnants ne sont pas des as du breton écrit, on voit donc fleurir dans les années 70 des grilles mixtes. Explications en français dans Armor Magazine, explications bilingues dans Evid ar Brezhoneg (Pour le breton) qui utilise les mots a-sonn (verticalement) et a-hed (horizontalement).
L’initiative la plus originale vient de l’île de Sein en 1994. Pierre Salaun publie chaque mois dans L’Écho des îles ses mots croisés sénans E bredonneg ar gear mar plij (en breton de l’île s’il vous plaît). On y puise plein de mots du cru : changement de bord = dizviradenn ; pour déhâler le poisson = baskrog ; celles- ci ne sont pas bleudog (farineuses) ; avaloù touseg = pommes de crapaud (nom donné sur l’île aux champignons). Un teuzac’h (un régal !) .