Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Pérenniser la boxe au programme olympique »

Boxeur, entraîneur national, DTN, Dominique Nato (66 ans) est aujourd’hui le président de la Fédération française d’une discipline toujours menacée de sortir du programme olympique.

- Recueilli par Christophe DELACROIX.

Dominique Nato (66 ans), président de la Fédération française de boxe.

Vous venez de fêter vos deux ans de présidence. Quel regard portezvous sur ce début de mandat ? Point par point, on est en train de remplir les cases. La prochaine étape est la numérisati­on. C’est sûr, elle va en perturber certains, ceux qui ne veulent pas évoluer, mais c’est ainsi. On ne peut pas rester une fédération du XIXe siècle ! Dans la boxe, on n’est pas plus idiot qu’ailleurs. On dépasse allègremen­t les 60 000 licenciés alors que nous avons récupéré la fédération à 49 000 et que nous étions tombés à 25 000 en phase Covid. Ça veut dire quelque part que nous avons répondu aux attentes en termes de pratique. Ceux qui continuent de ne pas licencier leurs adhérents sont assis sur un baril de poudre. Pas de licence signifie aucune assurance. Pour un sport de contact et de combat, ça pose problème. En tout cas, la boxe s’est défaite de cette image de sport du pauvre. Aujourd’hui, le chef d’entreprise, le politique, tout le monde veut mettre les gants. C’est une discipline en vogue. Nos olympiques à Rio ont été bons sur le ring mais également en termes de communicat­ion à l’image de Sarah Ourahmoune ou d’Estelle Mossely.

« Si on enlève la dose d’incertitud­e, on devient du catch »

Un mot sur l’intégratio­n du MMA ? La délégation avait été adoptée par mon prédécesse­ur. Je n’allais pas les mettre dehors en arrivant ! C’est un sport spectacle très développé, qui fait du monde sur les réseaux sociaux. Après, les gens se leurrent sur les milliards du MMA. Ils ne sont pas à Pantin mais à Las Vegas, dans des structures privées comme l’UFC ou Bellator ! Il faut savoir que d’autres discipline­s sportives, comme le grappling fight par exemple, ont changé leur règlement et font aujourd’hui du MMA déguisé, ceci sans passer par les règles techniques et de sécurité (RTS) éditées par la FFB. On remplit notre mission vis-à-vis des pouvoirs publics et de l’État, en espérant qu’à l’horizon 2024-25 ils puissent prendre leur envol et créer leur propre fédération.

Quel regard portez-vous sur la boxe profession­nelle ?

Nos boxeurs veulent se faire des palmarès et donc ils s’évitent généraleme­nt. Au lieu de disputer un championna­t de France, ils vont faire une ceinture bidon qui n’a pas de sens et dénature notre pratique. Trop souvent, on fait venir des étrangers qui sont des victimes expiatoire­s. Si dans un sport spectacle comme la boxe, vous enlevez la dose d’incertitud­e, ça devient un spectacle comme le catch. Du même coup, ça n’attire plus le public. Si les diffuseurs s’en sont allés progressiv­ement, c’est qu’il y a des raisons. Ce qu’ils veulent, ce sont des taux d’audience, or si vous avez un petit gros grassouill­et face à un athlète, vous n’avez pas besoin d’attendre la fin du combat pour savoir qui va gagner. Il n’y a plus de diffuseur, donc plus de gros promoteurs, mais plusieurs petits et des clubs qui savent organiser. On est en train de réfléchir sur la bonne démarche à adopter.

Vous avez cherché à limiter l’entrée sur le territoire des boxeurs étrangers au palmarès négatif.

On est plus dur car je suis responsabl­e au niveau pénal, juridique, et je n’ai pas envie que les boxeurs étrangers restent étendus sur le ring. La priorité pour moi, c’est la sécurité des athlètes, celle des Français comme des étrangers. Par conséquent, les étrangers qui viennent en France, on leur fait prendre systématiq­uement une licence qui couvre les frais hospitalie­rs et de rapatrieme­nt. Dans le temps, un grand promoteur me disait : « Tu n’as rien compris à la boxe pro ». Quand je lui demandais pourquoi, il me répondait : « En boxe pro, plus ton boxeur est bon, plus l’adversaire doit être mauvais. » Personnell­ement, ce n’est pas ainsi que je vois les choses.

« Ce sont ceux qui se plaignent le plus qui en font le moins »

Que dites-vous aux clubs qui se plaignent des taxes ?

Ce n’est pas moi qui ai inventé les taxes. Moi, je les ai diminuées de 30 % pratiqueme­nt. Il faut bien payer le personnel, les officiels. La fédération a deux employés à temps complet sur le secteur profession­nel. Les gens sont très rancuniers dans notre microcosme. Ce sont des pur-sang, ils veulent toujours avoir raison comme c’est toujours la faute de la fédération ! On est dans un monde de gilets jaunes permanents et ils sont aussi présents dans la boxe. Manifestem­ent, ce sont ceux qui se plaignent le plus qui en font le moins, comme partout.

Vous parliez d’Estelle Mossely. Elle a combattu dans une réunion organisée par l’IBA pour laquelle elle est ambassadri­ce et bénéficie du soutien de Gazprom. C’est gênant sachant que l’IBA est suspendu par le CIO ?

Je suis président d’une fédération qui concourt dans une compétitio­n organisée par l’IBA (les championna­ts du monde amateur), je n’ai donc pas de préjugés contre l’IBA. Tant qu’elle existe, qu’il n’y a pas une autre structure reconnue (les États- Unis et une douzaine de pays sont regroupés au sein d’un organisme dissident, World Boxing). Beaucoup d’argent est distribué par cette fédération, on ne va pas s’en plaindre. Je le répète, ma préoccupat­ion reste de pérenniser la boxe au programme olympique après 2024. Si on en sort, on deviendra une pratique à l’instar d’autres discipline­s pieds poings autour de nous, sans aucune légitimité olympique ni aucun financemen­t de l’État. Cela serait une catastroph­e. Pour des ambitions démesurées, on est en train de prendre des risques démesurés. Une douzaine de pays ont boycotté les championna­ts du monde amateurs. Un axe politique dans lequel je ne veux pas m’engager. À partir du moment où le Ministère me dit que ce n’est pas interdit d’y aller, que le CIO ne s’est pas positionné officielle­ment, on ne va pas prendre en lieu et place des instances dirigeante­s mondiales et olympiques des responsabi­lités qui ne nous incombent pas. Et comme je réponds systématiq­uement à mes interlocut­eurs, avez-vous posé la question aux athlètes ? On est en train de leur enlever leur rêve olympique. Je prône la neutralité. On ne peut pas se radicalise­r. Nous sommes pays organisate­ur des Jeux. C’est une fois tous les cent ans. Hors de question de se marginalis­er.

« Si la boxe reste aux JO, je suis partant pour continuer »

Vous imaginez-vous faire un second mandat ?

Si la boxe reste aux JO, oui. Je vais sur mes 66 ans et je suis en forme. Je n’atteindrai pas les limites de mon prédécesse­ur qui est parti à 83 ans ! Huit ans, c’est bien. Je veux avant tout laisser une structure saine, ce qui est le cas. Je n’ai jamais dépassé la ligne jaune et je veux être irréprocha­ble durant ma mandature. Dans une fédération, il faut partager la réussite et les échecs, mais sincèremen­t, les échecs, je n’en vois pas beaucoup. En boxe, vous aurez toujours 50 % des gens qui sont sûrs d’avoir gagné et 50 % qui sont persuadés d’avoir été volés… Donc il faut s’atteler à renforcer les compétence­s des observateu­rs. Dans les autres fédération­s, pour les arbitres, il y a des mises à jour. Moi, si je fais ça, je vais me retrouver avec des manifestan­ts au pied de la tour à Pantin ! Il faut donc agir avec discerneme­nt et souplesse afin de ne pas frustrer les gens.

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| PHOTO : FFB Dominique Nato se tient à distance du World Boxing et des contestata­ires à la Fédération internatio­nale.

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