Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Marc Dugain, fascinant dans la tête d’un Président

Dans Tsunami, l’écrivain Marc Dugain revêt le costume d’un chef d’État fraîchemen­t élu pour mieux dépeindre les vertiges du pouvoir. Une oeuvre vigie dont l’auteur livre les ressorts, depuis Saint-Lunaire.

- Rencontre Marie LENGLET.

« Je n’arrive pas à être convaincu de m’être montré visionnair­e, avec ce livre… » Le regard de Marc Dugain se perd par- delà la baie vitrée, là où la mer a opté pour un gris bleu chagrin, couleur de ciel changeant.

C’est depuis ce paisible pied-à-terre breton où paissent deux moutons, à Saint- Lunaire (Ille- et-Vilaine), que l’écrivain s’est invité à l’Élysée, qu’il s’est immiscé dans la tête d’un président de la République, pour son nouveau roman. Tsunami, écrit en quelques semaines, avant l’élection présidenti­elle de 2022.

Dans une forme de vertige insolent, Marc Dugain y distille, non sans délectatio­n, chacune de ses « obsessions ». L’urgence climatique, la façon dont le numérique prend l’ascendant sur nos vies. Le pouvoir. À chaque déferlante qui s’abat sur le chef d’État, la réalité se rapproche un peu plus près de la fiction.

À quand l’ère du président algorithme ?

« Mon livre pose la question de la responsabi­lité individuel­le et de l’usure du système démocratiq­ue », revendique l’auteur, qui ne cache pas s’être « amusé » et même « libéré », en se prêtant à cet exercice.

Le sujet n’en est pas moins sérieux, le lecteur, sans pouvoir s’empêcher de sourire, ne s’y trompera pas : « Sommes-nous des citoyens ou des consommate­urs ? La question n’est pas de nous battre entre nous – les agriculteu­rs, les écolos… – ça, c’est le résultat de l’inefficaci­té politique. Tout notre modèle va changer. »

S’il ne se sent pas visionnair­e, Marc Dugain est lucide et sans aménité. Son acuité lui donne à voir une classe politique « déconnecté­e » que « le développem­ent du numérique finira par rendre obsolète. Qui dit qu’un jour, nous n’aurons pas un Premier ministre humain et un Président algorithme » ?

Ne comptez en tout cas pas sur lui pour se lancer en politique : « Cha

cun sa place. Céder aux tentations du pouvoir quand on vient d’un contre-pouvoir, ce serait trahir… »

Sans doute se trahirait-il d’abord luimême, tant il se sait habité de « ce quelque chose qui est propre aux écrivains : la préférence que l’on a pour la fiction par rapport au réel. Et qui est sans doute la meilleure façon de le tenir éloigné ».

L’Affaire des poisons

Lui qui s’avoue « fasciné par les contradict­ions » a attendu quelques années avant d’emprunter ces chemins de traverse qu’il n’entend plus quitter. Sa mère, « issue de la toute petite bourgeoisi­e », s’était hissée jusqu’à diriger plusieurs entreprise­s. Son père, d’origine modeste, était devenu le brillant physicien nucléaire auquel l’écrivain a consacré son roman La volonté. Dans leur sillage, Marc Dugain a engrangé les diplômes, a réussi dans les affaires.

Jusqu’au jour où, « je me suis rendu compte que ça ne me motivait pas vraiment, que quelque chose dans le capitalism­e m’échappait, soupire le romancier. Pour passer sa vie là- dedans, il faut être insatiable ».

Lui est plutôt du genre intarissab­le : à 66 ans, il a déjà publié une vingtaine de romans, en l’espace de vingtcinq ans. De son imaginatio­n incisive, il a aussi tiré des films (La Chambre des officiers, L’Échange des princesses etc..). « J’ai terminé le scénario du quatrième et ce sera encore un film en costume, comme les trois premiers, annonce le réalisateu­r. N’y voyez aucune nostalgie. J’adore faire revivre une époque… »

Ce quatrième film s’inspire de l’Affaire des poisons, une série de mystérieux empoisonne­ments sous le règne de Louis XIV. « Le public trouve parfois mes films très différents de mes livres, s’étonne-t-il. Je parle pourtant toujours de la même chose – le pouvoir, la folie… Je le fais juste différemme­nt. »

Vocation manquée ?

Les quelques mois qui le séparent de son prochain tournage lui ouvrent une fenêtre d’écriture. L’intrigue d’un autre roman court déjà sous sa plume. Il n’en dira pas plus, si ce n’est que, comme toujours, il travailler­a dos à la mer pour ne pas la laisser le distraire : « J’écris dans une pièce où je vois juste mon jardin. Ou dans les petits espaces. L’avion, le train. »

L’idéal serait sans doute un sousmarin… « Mon rapport à la mer est bizarre », confesse Marc Dugain. S’il est né au Sénégal, ses racines sont en partie bretonnes.

Petit-fils d’un marin pêcheur en mer d’Islande, il n’a jamais oublié l’une de ses remarques : On ne barbote pas dans mon gagne-pain ! » À la vérité, « la mer, je me sens mieux dessous. Aller dans un sous-marin nucléaire a été une grande expérience pour moi… Si c’était à refaire, je serais probableme­nt sous- marinier. Un certain temps ».

Il serait malvenu d’en douter : « Je suis assez camusien ; je pense que l’existence n’a pas grand sens, glisse l’écrivain. Le seul sens intéressan­t, c’est celui qu’on veut lui donner. Et auquel on se tient. Ce qui n’est pas si simple… »

Tsunami, Albin Michel, 260 pages, 21, 90 €.

 ?? | PHOTO : MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE ?? Marc Dugain, auteur de « Tsunami » écrit à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), où il vit.
| PHOTO : MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE Marc Dugain, auteur de « Tsunami » écrit à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), où il vit.

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