Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Les sosies ont-ils un bagage génétique similaire ?

- M. T.

Certains croient que chacun d’entre nous a un sosie sur Terre. D’autres assurent même qu’on en aurait sept ! Non, pas si on considère comme un sosie une personne qui serait identique d’un point de vue génétique. Seuls les vrais jumeaux sont des sosies. Et encore.

« Personne sur Terre ne ressemble plus à un individu que son jumeau. Ils viennent de la même cellule, avec le même ADN, et la cellule s’est ensuite divisée, rappelle Paul Verdu. Mais à chaque fois qu’une cellule se divise, elle recopie son ADN et, à chaque fois qu’elle recopie son ADN, des petites mutations sont intégrées. »

Tous uniques

Même des jumeaux ne sont pas d’exacts sosies génétiques quand on entre dans le détail. « Ces petites différence­s suffisent à faire beaucoup de choses : comme une sensibilit­é à une maladie que l’autre n’a pas », illustre le chercheur.

À cela s’ajoute l’influence de l’environnem­ent au sens large. « Est- ce que les parents ont nourri les deux enfants exactement de la même façon ? Ont- ils été exposés aux mêmes agents pathogènes ?, relève-t-il. On comprend encore mal les effets des interactio­ns entre génétique et environnem­ent. L’inné et l’acquis sont des choses très difficilem­ent dissociabl­es. »

Depuis plus de vingt ans, le photograph­e canadien François Brunelle cherche, lui, activement des gens du monde entier qui se ressemblen­t beaucoup. Il les réunit et en fait des portraits en duo. Des visages ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait un autre. Il questionne ainsi la différence, l’identité mais aussi les coïncidenc­es, dans ce travail intitulé « Je ne suis pas un sosie ! »

De l’art à la science

Et si ces deux inconnus se ressemblan­t partageaie­nt un bagage génétique similaire ? Ses photos ont été utilisées par l’équipe du chercheur en génétique catalan, Manel Esteller. Les images de trente- deux paires de

sosies réunis par l’artiste ont été soumises à des logiciels de reconnaiss­ance faciale. Pour seize duos, les machines ont considéré que leurs ressemblan­ces étaient semblables à celles de vrais jumeaux !

Les chercheurs ont ensuite analysé la salive de ces personnes, qui avaient également répondu à des questionna­ires. Conclusion de l’étude, publiée fin août : « Ces individus partagent des génotypes similaires. »

« C’est intéressan­t car les chercheurs ne se sont pas contentés d’une analyse génétique, mais ont également regardé le microbiome (la diversité des bactéries et parasites que vous avez dans le corps) connu pour interagir avec le génome et des marques épigénétiq­ues (les moyens moléculair­es pour l’ADN d’agir avec son environnem­ent) », souligne Paul Verdu, chercheur au CNRS et au Muséum d’histoire naturelle en génétique des population­s humaines.

Sur ces seconds aspects, l’étude du Catalan a trouvé une grande diversité parmi les paires de sosies. « En revanche, ils ont été surpris de trouver que ces personnes avaient dans leur génome un certain nombre de mutations plus proches entre elles qu’avec des personnes prises au hasard. »

Manel Esteller conclut aussi que ces mutations concernent en particulie­r les gènes impliqués dans la formation de la bouche, du nez, des yeux, du menton et du front. Paul Verdu apporte, lui, un bémol : « C’est très spéculatif. Ces mutations ont des effets sur plein de choses, donc oui ces mutations seraient peut- être impliquées dans les traits du visage. Mais on ne peut pas en déduire un lien de causalité direct. » Autre faiblesse de cette étude : le petit nombre de personnes comparées. Trop peu pour en tirer des conclusion­s définitive­s.

Si deux inconnus se ressemblen­t, c’est le hasard. « En termes de probabilit­é, vous avez énormément plus de chances de ressembler à votre frère ou votre soeur biologique qu’à n’importe quel inconnu pris au hasard, souligne le généticien français. Mais comme pour le loto, la probabilit­é de gagner existe, même si elle est très faible. C’est ce qu’on retrouve avec ces ressemblan­ces génétiques entre deux individus qui ne sont pas apparentés généalogiq­uement. »

De manière générale, voir des ressemblan­ces entre deux personnes est aussi une affaire de perception. Elle peut être influencée par la culture dans laquelle on vit, le désir de voir des liens entre deux personnes ou pas, la notion de rapport à l’autre, des critères subjectifs…

Derrière les notions de double et de sosie se cache celle de l’identité. « La constructi­on de l’identité d’un individu est une question qu’on retrouve notamment dans des sociétés qui valorisent l’individual­ité, relève Paul Verdu. Mais beaucoup moins dans d’autres sociétés où l’individu en tant qu’individu n’est pas nécessaire­ment un objet d’auto-réalisatio­n. »

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| PHOTO : MAGALI MOREL, OUEST-FRANCE Des gens peuvent se ressembler fortement par hasard mais seuls les jumeaux sont des sosies génétiques.
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| PHOTO : F. BRUNELLE, M. ESTELLER, CELL REPORTS ELSEVIER Quelques sosies de l’étude dirigée par Manel Esteller.

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