Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

À Huelgoat, les plaintes de la sirène

Légendes et fantômes de l’Ouest. L’amour a anéanti la ville d’Ys et coûté la vie à la princesse Ahès. On raconte que son chant s’élève du gouffre de Huelgoat, au coeur d’une forêt finistérie­nne.

- Françoise SURCOUF.

L’histoire de la ville d’Ys est l’une des plus connues parmi les légendes de Bretagne. Aux temps lointains, Gradlon, roi de Cornouaill­e, part vers le nord pour y découvrir de nouvelles terres. Bientôt, il aborde une île inconnue au large de l’Islande. Prévenue en songe de son arrivée, Malgven, la sauvage souveraine de la contrée, lasse de la vie qu’elle mène, voit en ce roi jeune et vigoureux son sauveur. Elle s’enfuit avec Gradlon, emportant le trésor du royaume.

Une année durant, leur navire erre sur les mers avant de retrouver les côtes de Bretagne. Peu avant l’abordage, Malgven meurt, ne laissant au roi que deux présents : une fille, Ahès, et un cheval, Morvarc’h, capable de chevaucher sur terre comme sur la crête des vagues.

Naissance de la ville d’Ys

Vingt ans ont passé. Gradlon, inconsolab­le de la mort de sa bien-aimée, a abandonné peu à peu les rênes du pays, laissant le gouverneme­nt à son fidèle ministre, Corentin. Ahès, la fille chérie du roi, tout comme autrefois sa mère, s’adonne à la magie. Elle aime fréquenter les sènes, prêtresses qui vivent entre femmes sur l’île de Sein. Elles lui enseignent l’art de dominer les tempêtes et les bêtes de la forêt, mais lui conseillen­t aussi de se défier de l’amour qui fera son malheur.

La fille du roi aime le plaisir et s’ennuie dans cette ville dont le trop sage Corentin a fait une cité sinistre. Non contente de mener joyeuse vie dans son domaine du Kastell Gwibell (« château du Gouffre ») en Huelgoat, elle demande à son père de lui faire construire au milieu de la baie une cité blanche. Seules deux énormes portes de fer, que l’on ferme chaque nuit, protègent de l’envahissem­ent des flots. Ys s’élève bientôt, dressée au milieu de la mer comme une épée

fichée dans un rocher. Le plaisir, tous les plaisirs règnent sur la ville et Ahès en est la maîtresse.

Un soir, Gradlon vient rendre visite à sa fille. En gage de soumission, elle lui donne les clés des portes de la ville. C’est une nuit de tempête, une nuit si sombre que la lune elle-même est invisible. Peu avant la fermeture des portes, un cavalier, seul, sans escorte, demande l’hospitalit­é. Il est grand, noir de cheveux et entièremen­t vêtu de rouge. Dans son visage blême brillent des yeux d’un vert étrange.

Un marché de dupes

Ahès le voit et reconnaît celui contre lequel les sènes l’ont mise en garde. Mais le cavalier est si beau qu’elle ne résiste pas. Elle l’invite à passer la

nuit avec elle. Le visiteur écarlate reste de glace et refuse ses baisers. Huit jours durant la tempête sévit. Huit jours durant la princesse erre, torturée par le désir. Elle tente tout ce qui est en son pouvoir : charme, magie, philtres, le cavalier se dérobe toujours. Il se montre courtois, la compliment­e sur sa beauté mais au moment où elle croit l’avoir conquis, il s’éclipse.

Une nuit vient où la pauvre Ahès, vaincue, lui avoue son amour et lui promet de lui donner ce qu’il veut s’il accepte de devenir son époux. Il exige alors les clés qui ferment les portes de la cité. Déchirée, Ahès hésite. Mais elle veut cet homme avec une telle force qu’elle se glisse dans la chambre de son père et lui dérobe le trousseau qu’elle donne au cavalier. Dès qu’il l’a en main, il ouvre grand les battants. La mer monte, noyant rues, boutiques et gens.

Sans un regard, le cavalier monte sur son cheval et disparaît dans la nuit, laissant au sol l’empreinte d’un pied fourchu.

Gradlon, brutalemen­t réveillé, se précipite. Au milieu du désordre général, il parvient à seller Morvarc’h et, prenant sa fille en croupe, tente de gagner le continent. Mais, lorsque le cheval magique aborde la rive, le roi est seul. Ahès, emportée par une vague, a rejoint les Marie- Morgane, ces sirènes immortelle­s qui hantent les profondeur­s des flots. Depuis lors, les nuits de grand vent, les marins entendent sonner les cloches de la ville d’Ys, au fond des eaux…

Le gouffre d’Ahès

L’histoire de cette fille de roi, à qui ses crimes ont donné une terrible célébrité, ne s’arrête pas là. Ce que la légende d’Ys ne dit pas, c’est que de la ville partaient dans toutes les directions des souterrain­s qui aboutissai­ent parfois à plus de trente lieues à l’intérieur du continent. La mer, après avoir englouti la ville, se rua dans ces souterrain­s.

Le gouffre de Huelgoat, dans le Finistère, est l’entrée de l’un d’eux. Le fracas que l’on y entend n’est, selon la rumeur, pas produit par la rivière seule mais bien par les grandes vagues de l’océan, qui bouillonne­nt là, sous les pieds.

Quand la lune est claire, d’aucuns prétendent qu’une voix jeune et pure s’élève tout à coup, dominant le tumulte des eaux, et chante une chanson d’une beauté insigne. Ce serait Ahès, qui, à la clarté de la lune, chante au fond du gouffre, sa chevelure d’or flottant sur ses épaules. Elle tend les bras vers le visiteur égaré comme pour le supplier d’avoir pitié d’elle et de la délivrer de son sort de sirène…

 ?? | PHOTO : EVARISTE-VITAL LUMINAIS ?? La princesse Ahès, détail du tableau « Fuite de Gradlon », peint vers 1884 par Évariste-Vital Luminais.
| PHOTO : EVARISTE-VITAL LUMINAIS La princesse Ahès, détail du tableau « Fuite de Gradlon », peint vers 1884 par Évariste-Vital Luminais.
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| PHOTO : CÉLINE KERGONNAN Le gouffre de Huelgoat, dans le Finistère, d’où s’élèverait la voix d’Ahès.

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