Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Lisez aux enfants, même lorsqu’ils sont au collège ! »

- Entretien Propos recueillis par F. P.

Michel Desmurget, docteur en neuroscien­ces.

Les jeunes ne lisent plus, est-ce catastroph­ique ?

Selon des études (comme Pisa, Pirls ou Common Sense), 50 % des enfants sont dits « faibles », c’està- dire ont du mal à comprendre les textes les plus simples. À cela s’ajoutent 25 % de gamins de niveau basique, capables de comprendre les contenus explicites, et 25 % de vrais lecteurs, dont 10 % sont avancés.

Combien de temps consacrent-ils chaque jour à la lecture ?

Dans les dix minutes, 2 à 3 % du temps passé sur les écrans. Et tous les contenus ne se valent pas. Les livres de fiction et les journaux (à un degré moindre) ont un impact positif sur le développem­ent langagier et les capacités en lecture. Mais pas les mangas et les BD, car on ne met pas le même volume d’informatio­ns dans les bulles de BD.

Est-ce grave de ne pas lire ?

Le langage sert à communique­r et à penser. Il y a beaucoup plus de richesse langagière, de culture générale chez ceux qui lisent car il y a beaucoup de connaissan­ces dans les livres. Et décrire les contextes, les émotions, les ressentis demande beaucoup de mots. Si je vous dis : « C’est un élément saillant du discours », le mot « saillant », vous l’entendez une fois tous les quatre à cinq millions de mots à l’oral, autant dire jamais. À l’écrit, c’est une fois tous les 100 000 mots. Quand l’enfant lit un million de mots, soit dix à quinze bouquins de taille moyenne, il en ingurgite 800 à 1 000. Pour se construire un vocabulair­e imposant, il a besoin de lire et qu’on lui lise énormément.

Sinon, l’écart est-il important ?

À 3 ans, il est de 800 à 1 200 mots et à 9 ans, de 4 000 à 9 000 mots. C’est colossal et cela se creuse en grandissan­t. Car plus l’enfant connaît de mots, plus il est à même d’en comprendre de nouveaux, puisqu’il connaît le contexte.

La lecture a-t-elle d’autres impacts positifs ?

Oui, notamment sur la créativité, qui est très liée à nos connaissan­ces et à nos capacités à les recombiner. Sur les facultés à organiser sa pensée et son propos. Et sur l’intelligen­ce sociale et émotionnel­le, l’empathie. La lecture aide à se comprendre soi-même et à comprendre les autres. Car vous éprouvez ce qu’éprouvent les personnage­s. Dans le cerveau, les mêmes circuits neuronaux s’activent dans la vraie vie et littéraire­ment !

Lire, est-ce mieux que d’apprendre en cours ?

Un élève de maternelle acquiert,

chaque année, 350 mots à l’école et 3 000 par ailleurs. La majorité du langage est acquise de façon incidente. Quand un enfant lit des livres, il retient 5 % des mots rencontrés. Mais le volume de mots est tel qu’il en apprend des milliers. C’est six fois plus bénéfique de faire lire que d’enseigner des mots à un gamin. C’est pour ça que je dis aux parents « Lisez aux enfants », même quand ils croient qu’ils savent lire.

Certains ne savent-ils pas vraiment lire ?

Au début, ils décodent et au CP, on appauvrit le contenu des livres pour qu’ils le fassent. Dans le même temps, il faut les maintenir sous perfusion langagière. La langue de l’écrit, ils ne pourront l’acquérir qu’à travers la lecture partagée. Au moment où ils commencero­nt à lire vraiment, ils auront ainsi construit les fondements du langage écrit.

Sinon, que se passe-t-il ?

Il y a un risque de décrochage au moment où on lâche l’enfant avec de vrais livres, au CM1. Si l’enfant ne comprend plus parce qu’il n’a jamais rencontré les mots, il décroche. La plupart des enfants en difficulté savent décoder, mais ils n’ont pas le langage. Au collège, 70 % des différence­s de compétence­s s’expliquent par des différence­s en lecture. Elle donne accès à toute la connaissan­ce.

Que se passe-t-il dans le cerveau lorsqu’on lit ?

Pour accéder au langage, la bretelle d’autoroute, c’est l’oreille. Pour la lecture, rien n’est prévu ! Le langage a 4 000 ou 5 000 ans, alors qu’une grande partie des Français ne sait lire que depuis cent ans. L’évolution n’a pas pu rentrer ça dans le circuit. Donc on pirate le système de reconnaiss­ance des visages et des objets pour en faire une aire de reconnaiss­ance des mots. L’enfant casse les mots en lettres puis il les assemble par paires, par syllabes et, enfin, le mot est envoyé au cerveau.

Et cela s’améliore au fil des années ? Pour faire un lecteur, il faut deux décennies. Le bon lecteur reconnaît l’orthograph­e d’un mot car il y a des régularité­s statistiqu­es. En français, entre un B et un T, il y a souvent un O au milieu. Entre un F et un T, c’est souvent AU, par exemple. Pour ce qui est de la vitesse de lecture, le bon lecteur de terminale devrait lire entre 280 à 300 mots par minute. En moyenne, c’était 240 minutes dans les années 1960, 190 aujourd’hui…

Que faire ?

Valoriser la lecture, avoir des livres à la maison, réduire le temps d’écran. L’ultime clé, c’est le plaisir. Donc il faut bien accompagne­r l’enfant et continuer à lire avec lui, même au collège. La lecture peut faire bouger les lignes de l’échec scolaire.

Est-ce qu’il n’y aurait pas une part d’hérédité ?

Il y a une base génétique et c’est plus facile pour les uns que pour d’autres. Mais le quotient intellectu­el (QI) est dépendant de l’environnem­ent. Il peut être augmenté grâce aux efforts fournis sur le travail scolaire et au temps passé à lire.

Faites-les lire ! de Michel Desmurget, Seuil, 416 p., 22,50 €.

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| PHOTO : MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE Pour le chercheur Michel Desmurget, « la lecture peut faire bouger les lignes de l’échec scolaire ».
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| PHOTO : BÉNÉDICTE ROSCOT Michel Desmurget.

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