Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Le tourbillon parisien des Illusions perdues
Couronnée de sept César, l’adaptation par Xavier Giannoli du roman d’Honoré de Balzac, plonge dans l’effervescente et cynique capitale, sous la Restauration.
Riton Dupire- Clément, chef décorateur, César des meilleurs décors pour Illusions perdues.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’adaptation des Illusions perdues ? Fin 2017, avant même d’avoir commencé à écrire son scénario, Xavier Giannoli m’a envoyé un message : « Comment fait- on Paris au XIXe siècle ? » Je ne l’avais jamais fait. Nous avons commencé par un gros travail de recherches et de documentation sur cette période de la Restauration (1814-1830), l’explosion de la presse, des théâtres, qui a servi dès l’écriture du scénario. Je savais qu’on allait faire un film hors-norme.
Comment avez-vous reconstitué cette époque de la Restauration ? La phase de repérages est celle des choix, entre les décors naturels, comme les châteaux, et les décors de studio, que nous allions fabriquer, comme la librairie de l’éditeur Dauriat. Ensuite, il fallait restituer l’atmosphère des Grands Boulevards, le Palais Royal. La rédaction du CorsaireSatan et le restaurant Flicoteaux de Saint- Germain ont été reconstitués
dans une bâtisse du XVIIIe siècle, au milieu d’un hôpital près de Paris. Il reste peu de choses de cette époque qui soient « propres », non transformées. Parfois le manque de références précises nous a offert une certaine liberté.
Où avez-vous puisé la quantité d’objets de décor ?
Le musée de l’Imprimerie de Nantes nous a beaucoup aidés. Les loueurs de mobilier et d’accessoires de cinéma sont hélas de moins en moins
nombreux, il faut ensuite chiner ou fabriquer, surtout pour un film comme les Illusions. Près de cent personnes ont travaillé aux décors dans les moindres détails. Le singe et les canards, symboles d’une presse sans scrupule diffusant de fausses nouvelles, ont été loués à des animaliers. La trentaine de voitures à cheval, aux Écuries Hardy, près de Rambouillet (Yvelines).
On parle beaucoup d’intelligence artificielle (IA) dans le cinéma.
Quelle incidence peut-elle avoir sur votre métier ?
J’ai du mal à projeter, quantifier ou analyser ce que l’IA va changer dans le travail des décors. Les effets spéciaux numériques sont une extension des décors, peut- être que l’IA le sera également. Fondamentalement, je crois à la création, au regard, à la poésie qu’une machine n’aura probablement jamais.
Vous avez, depuis, travaillé sur la série D’Argent et de sang de Xavier Giannoli (MyCanal).
Dans cette série adaptée du livre de Fabrice Arfi, journaliste de Médiapart, il s’agissait de montrer, cette fois, les excès de notre époque à travers la démesure de personnages qui vivent hors- sol. Mon but est que le décor paraisse évident, naturel, donne l’impression d’avoir toujours été là. Xavier fait du cinéma sans concession, avec un enthousiasme communicatif. En ce sens, il oblige ses collaborateurs à essayer de faire mieux que bien.
France 2, 21 h 10.