Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Frédéric Lenoir : « L’émotion devant le

Avec L’Odyssée du sacré, le sociologue et écrivain propose un voyage érudit et passionnan­t à travers des milliers d’années d’histoire des hommes, des croyances, des religions et de la spirituali­té.

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À la veille de Noël, au moment où les chrétiens célèbrent la naissance du Christ, Frédéric Lenoir retrace dans un livre, L’Odyssée du sacré, la façon dont l’homme, le seul être vivant à être doté d’un esprit, a ritualisé ses croyances, développé des religions, cheminé personnell­ement et spirituell­ement.

Noël est célébré demain. Un moment important de l’histoire du sacré, mais qu’est-ce que le sacré ? Une émotion, un émerveille­ment, un sentiment universel que l’on ressent devant le mystère de la vie et du monde. Cela a donné naissance à la science, à l’art et à la religion. C’est quelque chose de proprement humain. Parce que l’on est bouleversé par une naissance, une mort, la beauté d’un paysage, on se dit que quelque chose nous dépasse. Au départ, le sacré est présent dans toutes les cultures, mais on n’est pas encore dans des croyances. Il va donner ensuite naissance à des quêtes spirituell­es individuel­les et à des religions collective­s.

Le sacré, c’est ce qui nous distingue des autres espèces animales ? L’homme s’interroge sur sa finitude, sur le mystère de la vie, le sens de l’existence, parce qu’il a un esprit.

Et d’où vient cet esprit ?

Il y a un débat et trois grandes réponses. D’abord, celle des matérialis­tes athées, les penseurs du XIXe siècle, Marx, Freud, Nietzsche, Feuerbach, les plus critiques vis-à-vis de la dimension spirituell­e et religieuse. Ils nous disent que parce que l’être humain a un cerveau plus gros, il a développé une raison plus abstraite. Ensuite, parce qu’il a peur de la mort, il a inventé les spirituali­tés et les religions.

Face à cela, beaucoup de philosophe­s, notamment de l’Antiquité, et toutes les religions nous disent que l’être humain vient d’un absolu qui le dépasse : l’intelligen­ce cosmique pour les premiers, Dieu pour les secondes. Nous aurions chacun en nous une étincelle divine, l’esprit spirituel.

« La beauté de la nature est une porte d’entrée vers le sacré »

Et la troisième théorie ?

Entre les deux, vous avez des philosophe­s, des psychanaly­stes comme Carl Gustav Jung, Viktor Frankl, Henri Bergson, qui ont une position intermédia­ire. Ils ne savent pas s’il existe un Dieu ou une force supérieure, mais ils constatent que l’être humain fait une expérience spirituell­e de type mystique.

Vous vous situez où ?

J’adopte plutôt la troisième position. Je me définis comme croyant agnostique. Quand j’avais 7, 8 ans, j’étais dans la forêt de Dourdan, un matin d’hiver. Il y a eu un rayon de soleil, un faisan s’est envolé, c’était magnifique, j’ai pleuré de joie, cette émotion m’a submergé. Depuis, j’ai l’intime conviction qu’un mystère nous dépasse. La beauté de la nature est une porte d’entrée vers le sacré.

L’homme a-t-il besoin de sacré pour vivre ?

Non, mais il est rare qu’un individu ne fasse pas l’expérience du sacré devant une naissance, la nature. Beaucoup de gens diront juste « Je suis ému », d’autres s’interroger­ont, certains entreront dans une quête spirituell­e ou religieuse. La spirituali­té sera plutôt un cheminemen­t personnel, le religieux une réponse collective. Le religieux fait souvent appel à des croyances dans un monde invisible qui nous dépasse.

Quand l’expérience du sacré a-t-elle commencé ?

Il y a 150 000 ans, quand l’être humain (à la fois homo sapiens et Néandertal) s’est mis à ritualiser la mort. Sont apparues les premières tombes où l’on observe de vrais rituels. La deuxième trace de sacré, c’est l’art pariétal, et la première idée de religiosit­é serait apparue vers 40 000 ans avant notre ère, dans les grottes. De plus en plus de préhistori­ens pensent que des chamanes y entraient en contact avec les esprits invisibles des animaux qu’ils peignaient. À Lascaux, il y a un endroit célèbre où, à côté d’un bison se tient un être humain à tête d’oiseau qui serait un chasseur. On voit là le passage entre le monde animal et le monde humain. L’animisme est la première religion de l’humanité. Selon elle, l’homme fusionne avec la nature, habitée par des esprits invisibles avec lesquels on peut entrer en contact.

« Les esprits de la nature sont remplacés par les dieux »

Comment se sont développée­s les croyances et les religions ?

Chaque fois qu’il y a eu un bouleverse­ment des modes de vie, il y a eu un bouleverse­ment des religions. Le premier grand moment, c’est le tournant du Paléolithi­que au Néolithiqu­e, vers - 10 000 ans avant notre ère. L’être humain se sédentaris­e, pratique l’agricultur­e et l’élevage. Il quitte la nature et s’en protège en mettant des enclos autour des villages. Il n’a plus besoin de chamanes, il a besoin d’un être supérieur qui le protège contre les envahisseu­rs, apporte la pluie, la fertilité. Les esprits de la nature sont remplacés par les dieux. On quitte une religiosit­é horizontal­e, où l’être humain se considère comme un animal, pour une religion verticale. Au- dessus il y a les dieux, en dessous la nature et au milieu l’être humain, qui

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Le philosophe Frédéric Lenoir : « J’ai l’intime conviction qu’un mystère nous dépasse ».
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| PHOTO : MATHIS HARPHAM, OUEST-FRANCE

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