Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

La fée Andaine, emblème des seigneurs d’Argouges

Légendes et fantômes de l’Ouest. Connue dans le Cotentin comme dans le Bessin et l’Orne, la fée Andaine est la figure tutélaire de l’une des plus grandes familles normandes, les Argouges.

- Françoise SURCOUF.

Le château de Gratot, dans le Cotentin, comme le château de Rânes, dans l’Orne, ou le manoir d’Argouges, dans le village de Vaux-sur-Aure (Calvados), sont associés à une fée nommée Andaine. Ces demeures ont pour point commun d’avoir appartenu à la famille d’Argouges, dont l’ancêtre était un compagnon de Rollon, premier duc de Normandie par la grâce du roi Charles le Simple. Sur une pierre des remparts ou sur le rebord d’une fenêtre, on vous montrera la trace du petit pied de la fée… Mais où a-t- elle vraiment vécu ?

Est- ce à Gratot, cette superbe forteresse dont les origines remontent au temps des Vikings ? Restée propriété de la famille du même nom jusqu’en 1251, elle passe, par mariage, aux Argouges. Quinze génération­s se succéderon­t cinq siècles durant. Ils aménageron­t, rebâtiront et agrandiron­t le château. Mais demeure, inamovible, incontourn­able, la tour de la Fée, construite au XVe siècle et chargée de mystères…

Est- ce au château de Rânes, près de Bagnoles- de-l’Orne ? Ici, il existe même une chambre qui aurait abrité cette créature énigmatiqu­e. Pour l’atteindre, il faut monter un escalier en colimaçon creusé dans l’épaisseur des murs. Voûtée, ornée de quatre arcs ogivaux en pierre blanche, la petite pièce possède une étonnante cheminée aux formes étranges ainsi qu’un remarquabl­e pavage de carreaux armoriés…

Coup de foudre

L’histoire de la fée Andaine remonte aux temps anciens où la contrée vivait dans la terreur d’un géant qui dévastait fermes, manoirs et trucidait allègremen­t bêtes et gens. Alerté par ses paysans comme par ses commensaux, Raoul d’Argouges, le plus puissant et le plus courageux des seigneurs de la région, a beau faire lever une petite armée pour mettre fin à ce règne de terreur et tuer le monstre, rien n’y fait. La chose semble impossible. Les plus valeureux combattant­s perdent la vie et la région demeure sous le joug du tyran.

La légende raconte, que, quelque temps après cette expédition ratée, un jour de chasse, alors que Raoul s’est arrêté pour faire boire à une fontaine son cheval assoiffé, il aperçoit une jeune femme en train de s’y baigner et en tombe immédiatem­ent amoureux. Avant d’avoir pu lui adresser un mot, la jeune femme disparaît.

Mais, quelques jours plus tard, elle se présente au château et, reçue en audience privée par le jeune seigneur, lui révèle qu’elle est la fée Andaine, venue des tréfonds de la forêt du même nom. Elle l’a vu en songe et est venue jusqu’à lui pour lui proposer son aide et le débarrasse­r du géant.

Devenu presque invincible grâce à ses sorts, Raoul n’a cette fois aucun mal à vaincre son adversaire. C’est en maître incontesté de tout le pays qu’il revient au château. Heureux et amoureux, il demande à l’ensorceleu­se ce qu’elle désire pour récompense. « Épousez-moi sire ! » répond Andaine. Le jeune homme, ravi, s’empresse de s’exécuter. Toutefois, sa fiancée met à leur union une condition : son époux ne devra jamais prononcer devant elle le mot « mort ». Raoul accepte et les bans sont publiés.

Les noces de la Fée

Le mariage, grandiose, dure plusieurs jours. Tous les seigneurs des alentours sont invités et se réjouissen­t du bonheur du couple. Sept ans durant, chaque jour semble augmenter leur joie d’être ensemble. Pour célébrer la belle châtelaine, ce ne sont que réceptions, festins, bals, tournois, chasses.

Jusqu’au soir maudit où… Par la douceur du plus beau des étés, une splendide fête est donnée au domaine. Le conte ne précise pas s’il s’agit de Gratot, de Rânes ou d’Argouges, tous alors propriété du seigneur. Plus de deux cents convives s’y rendent dans leurs plus brillants équipages et leurs plus beaux atours. Andaine ellemême s’est fait confection­ner une robe couleur bleu nuit garnie de précieuses perles et de magnifique­s dentelles. Elle a aussi orné sa coiffure de superbes rubans assortis.

L’arrangemen­t de ses boucles prend du temps. Sa camériste s’active mais la fée n’est toujours pas prête. Dans la grande salle où les invités commencent à arriver, Raoul s’impatiente et laisse apparaître un agacement de plus en plus évident. Lorsqu’enfin son épouse parait, il ne peut s’empêcher de la taquiner en lui lançant : « Dame, vous êtes si longue à vos besognes qu’il serait bon de vous envoyer chercher la mort ! » Le mot fatal est prononcé.

Sur le blason des Argouges

Andaine pousse alors un cri déchirant, monte sur le rebord de la fenêtre et disparaît dans l’étang, ne laissant que l’empreinte de son pied dans la pierre et quelques ronds dans l’eau.

Raoul, jusqu’à la fin de sa vie, viendra, les larmes aux yeux et maudissant son impatience, contempler cette ultime trace de sa bien-aimée. Quant à celle- ci, parfois, les nuits de tempête, on peut l’apercevoir errant dans sa longue robe blanche et gémissant : « La mort ! La mort ! »…

Depuis lors, la fée est l’un des symboles de la famille d’Argouges. Elle apparaît sur leurs armes, se coiffant, à demi-nue, un peigne à la main devant un miroir. Il lui est peut- être également fait référence dans le cri de guerre des Argourges : « Argouges a la faee ! (Fée ? Foi ?) ».

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| PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE Les restes du château de Gratot, dans la Manche.
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| PHOTO : JOHN ATKINSON La fée Andaine représenté­e sur toile.

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