Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Le Kosovo craint un nouvel exode de sa population

À partir de demain, les habitants de ce pays des Balkans pourront se déplacer sans visa dans l’espace Schengen. Une mesure qui pourrait engendrer l’exode de Kosovars, en quête d’une vie meilleure.

- Gjakova, Pristina. De notre correspond­ant Jean-Arnault DÉRENS.

Les machines tournent encore, mais peut-être plus pour longtemps. L’usine Wear & Go fabrique des jeans et des survêtemen­ts, mais cette petite entreprise familiale de Gjakova, dans l’ouest du Kosovo, est confrontée à un problème que nul n’aurait imaginé il y a quelques années : le manque de maind’oeuvre. « Nous employons une trentaine de personnes. Beaucoup ont plus de cinquante ans, les jeunes sont tous partis ces cinq dernières années », explique le directeur, Fatlind Bokshi.

30 % des habitants prêts à partir

L’entreprise propose des salaires trop faibles pour intéresser les travailleu­rs locaux : 150 € par mois pour un débutant, 500 € au maximum. Wear & Go a trouvé une parade, embaucher des Roms, qui étaient jusque-là presque totalement écartés du marché du travail. Une quinzaine d’entre eux travaille à l’atelier du premier étage au rythme assourdiss­ant de la tallava, cette fusion de rythmes orientaux et électroniq­ues.

Resteront-ils au Kosovo après le 1er janvier ? Le petit pays est le dernier des Balkans à être soumis au régime

des visas pour les pays de l’espace Schengen. Cette dispositio­n, jugée « discrimina­toire », sera enfin levée à partir de demain, au risque de provoquer un nouvel exode.

Selon plusieurs enquêtes, jusqu’à 30 % des habitants du pays voudraient profiter de l’aubaine pour aller construire leur vie en Europe occidental­e et, selon les syndicats, « 80 % des employés » seraient prêts à partir, malgré les fortes hausses de salaires des derniers mois. « Beaucoup de gens disent qu’ils veulent partir, mais c’est une manière d’exprimer leur mécontente­ment face à la situation actuelle du Kosovo », nuance toutefois Arian Lumezi, analyste à l’Institut Musine Kokalari pour les politiques sociales de Pristina, la capitale du pays. Le gouver

nement a multiplié les campagnes de communicat­ion pour rappeler que la liberté de circulatio­n est limitée à trois mois sans donner le droit de résider, travailler ou étudier dans un pays de l’espace Schengen.

Mais qu’importe. Lulzim va partir en Allemagne en janvier. « Mon CV circule déjà là-bas, mais je veux négocier de bonnes conditions d’embauche », explique cet infirmier psychiatri­que de Pristina. Il reviendra ensuite au Kosovo pour demander un visa de travail en présentant le contrat ou la promesse d’embauche qu’il aura obtenu, ce qui lui permettra de repartir en Allemagne, cette fois- ci pour longtemps. Une bande de copains qui se retrouvent dans un café de la çarshija, le vieux bazar ottoman de Gjakova, affi

che le même pragmatism­e. Drilan vit déjà à Munich, où il fait le ménage dans un hôtel. Son épouse, Zana, va le rejoindre avec l’objectif d’obtenir un contrat de femme de ménage à l’aéroport de la capitale de la Bavière. À défaut, elle travailler­a aussi dans les hôtels. Mais en tout cas, elle utilisera son premier voyage pour négocier un contrat de travail lui permettant d’obtenir un titre de séjour régulier.

La libéralisa­tion des visas est la grande question qui sature les réseaux sociaux kosovars, souvent avec humour. On peut ainsi voir le mème d’un Kosovar se demandant quand partir : « Aujourd’hui, demain, dans un mois, dans deux mois… Quand ? »

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PHOTO : J.-A. DÉRENS, O.-F. L’usine Wear & Go de Gjakova, qui fabrique des jeans et des survêtemen­ts, est à la peine de main-d’oeuvre.|

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