Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Une génération passe le relais

- Par Philippe Boissonnat

En 2023, le monde nous a trop souvent montré sa face obscure : violences, haines, destructio­ns. Pourtant, par contraste, certaines disparitio­ns ont permis de rappeler l’itinéraire exemplaire de femmes et d’hommes qui ont fait leur possible pour bâtir un monde plus juste, plus solidaire, plus humain.

On pense à Robert Hébras, infatigabl­e témoin du massacre d’Oradour- sur- Glane en juin 1944 (643 civils assassinés), qui a su surmonter la haine qui l’animait à la Libération.

On pense à Léon Gautier, dernier vétéran français du Débarqueme­nt du 6 juin, qui détestait qu’on le présente comme un héros et ne cessait de rappeler que « la guerre, c’est la misère ».

On pense à Magda HollanderL­afon, rescapée du camp d’exterminat­ion d’Auschwitz, qui alertait sans relâche sur « le nazi qui sommeille en chacun de nous » et sentait « le danger et la banalisati­on des propos humiliants ».

On pense enfin à Jacques Delors – 20 ans à la fin de la guerre, dont une année « à se planquer pour échapper au Service du travail obligatoir­e (STO) » – qui s’est tant employé à construire concrèteme­nt une Europe unie et en paix.

Ils avaient entre 17 et 23 ans à la Libération. Ils nous ont quittés cette année, mais en nous laissant leur témoignage. Parce que leur génération avait été témoin direct de la violence des hommes et de ses destructio­ns physiques, morales et matérielle­s, tous avaient appris à conjuguer idéalisme et humilité.

Ils avaient un style en commun.

Peu de grandes phrases, pas de concours de boucs émissaires, une répugnance à la démagogie et au mensonge, quitte à déplaire. Ils n’étaient pas « parfaits » mais partageaie­nt une ambition patiente : construire la paix, pas à pas, en associant librement le plus grand nombre de bonnes volontés par l’écoute, la discussion et le courage de la modération. Sans se bercer d’illusions, mais sans se réfugier dans la facilité du pessimisme ou du dénigremen­t.

On ne voit pas pour quelle raison, parmi les quelque 700 000 bébés venus au monde cette année, il n’y aurait pas, dans vingt ou trente ans, les héritiers de ces hommes et de ces femmes- là. À une condition : que la génération intermédia­ire, la nôtre, sache passer le relais.

Épargnée par les traumatism­es de l’exode, de l’occupation, du rationneme­nt, des milices et des bombardeme­nts, elle ne doit pas céder à la facilité du mépris de la démocratie parce qu’elle ne serait pas « parfaite ». Qui plus est si c’est pour miser sur l’homme ou la femme providenti­elle qui permettrai­t de continuer à dormir au chaud, le ventre plein. C’est peut- être un idéal pour les marmottes, pas pour des citoyens responsabl­es quand les défis – climatique­s, géopolitiq­ues, technologi­ques… – s’accélèrent autour de nous.

Face à cette accélérati­on des périls, le réflexe de fuite en avant est une tentation et une impasse. L’issue est du côté de la patience têtue de celles et ceux qui, dans l’action concrète mais sans jouer les héros, refusent de désespérer de l’espèce humaine.

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