Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Marylise Léon : « Le pouvoir d’achat reste Le premier sujet de préoccupat­ion »

Loi immigratio­n, emploi des seniors, égalité salariale, transition écologique, RSA, extrême droite, Europe… La nouvelle secrétaire générale de la CFDT dresse le bilan de 2023 et prépare 2024.

- Propos recueillis par Stéphane VERNAY.

Secrétaire générale adjointe de la CFDT (Confédérat­ion française démocratiq­ue du travail) depuis 2018, Marylise Léon, 47 ans, a pris la succession de Laurent Berger à la tête du grand syndicat réformiste français le 21 juin. Après la mobilisati­on historique contre la réforme des retraites, dans un contexte politique et social toujours très perturbé.

Jacques Delors est décédé cette semaine, à l’âge de 98 ans. Il était toujours en contact avec la CFDT ? Toujours. Il était adhérent depuis 1945. À la CFTC d’abord, puis à la CFDT. Il a été un compagnon de route, un ami, un adhérent engagé, un fidèle. Il allait régulièrem­ent voir les retraités CFDT. Je l’ai rencontré au mois d’octobre. Il était très soucieux de connaître nos projets. Il avait un regard aiguisé sur l’Europe et les futures élections.

C’est une source d’inspiratio­n pour vous ?

Oui. Il a marqué la maison par ses conviction­s. La CFDT est une organisati­on profondéme­nt européenne. L’héritage qu’il nous laisse, outre cette dimension européenne, c’est la nécessité de combiner économie et social, d’avancer par le dialogue, entre partenaire­s sociaux et avec les pouvoirs publics.

Vous avez demandé au président de la République de retirer le texte sur la loi immigratio­n. Il vous a répondu ?

Non. Il était question initialeme­nt d’un texte équilibré, avec la volonté de faciliter l’accès à des papiers à des personnes qui travaillen­t en France depuis longtemps. Ce point-là a été durci. Les mesures rajoutées rendront plus difficile l’intégratio­n de ces travailleu­rs en grande précarité, qui contribuen­t pourtant à notre économie. Le volet sur la réforme du droit du sol va lui aussi à l’encontre de l’objectif d’intégratio­n. La volonté de trouver un accord politique à tout prix a primé sur les objectifs et les valeurs. Je le regrette profondéme­nt. Cette loi est une grave atteinte aux valeurs de solidarité et de fraternité. Je continue de penser qu’il ne faut pas qu’elle soit promulguée et nous agirons dans ce sens en nous mobilisant avec d’autres courant janvier.

Sans attendre les arbitrages du Conseil constituti­onnel ?

Si, si, mais là aussi, il y a un problème. Le gouverneme­nt, qui donne l’impression de considérer le Conseil constituti­onnel comme une sorte de « troisième chambre », compte sur lui pour supprimer des dispositio­ns négociées avec son accord au moment de la Commission mixte paritaire. Laisser volontaire­ment passer des mesures anticonsti­tutionnell­es dans un texte pour pouvoir ne pas assumer ensuite ce qui a été conclu, c’est irresponsa­ble.

Avec le risque de fragiliser le Conseil constituti­onnel ?

Bien sûr. La ligne du gouverneme­nt sur l’immigratio­n est illisible, on n’y comprend plus grand- chose, et c’est l’extrême droite, notamment le Rassemblem­ent national, qui tire son épingle du jeu. Elle ne manquera pas de critiquer les décisions du Conseil constituti­onnel, alors qu’il est pleinement dans son rôle. C’est dangereux de jouer ainsi avec les institutio­ns.

La réforme des retraites, c’est terminé ?

Non, précisémen­t du fait de l’ouverture des négociatio­ns que nous demandions sur le travail. Nous en avons défini le calendrier le 22 décembre, elles se poursuivro­nt jusqu’à la fin du mois de mars. Nous allons parler de pénibilité, de conditions de travail et d’organisati­on du travail, d’emploi des seniors, de reconversi­on profession­nelle… Les questions qui étaient au coeur du mouvement social du printemps. Dans les cortèges, on parlait beaucoup plus de travail que de retraite.

Il aurait fallu aborder tout cela avant d’engager la réforme ?

Le gouverneme­nt a fait tout à l’envers dans cette histoire ! Dès le mois d’octobre 2022, la CFDT avait pointé l’ensemble des sujets qu’il fallait traiter avant de parler de durée de cotisation ou d’âge de départ. Nous avions demandé une concertati­on, en mettant la priorité sur l’emploi des seniors. Ces sujets reviennent sur la table… avec un an de retard.

Le Parti socialiste a dit qu’il redemander­ait un référendum d’initiative partagée sur les retraites, au printemps. Vous soutiendre­z la démarche ?

On verra. Pour nous, l’important, c’est d’améliorer concrèteme­nt les droits des salariés. Ça passe par les négociatio­ns qui démarrent, et le fait que ce qui sera conclu avec le patronat soit fidèlement retranscri­t dans les

lois et règlements qui pourront suivre. Le gouverneme­nt doit s’engager clairement sur ce point.

Vous avez un doute en la matière ? Quand j’entends toutes les idées des ministres sur ce que devrait être la réforme du marché du travail, oui. C’est d’abord aux organisati­ons syndicales et patronales de s’entendre sur ces questions. Si chaque membre du gouverneme­nt passe derrière pour rajouter sa touche personnell­e, on n’y arrivera pas. La loi immigratio­n vient de montrer qu’ils sont capables de défaire ce que d’autres ont conclu. Pour le travail, il faudra que ce soit l’accord, rien que l’accord.

Que reste-t-il de l’intersyndi­cale aujourd’hui ?

Que reste-t-il de nos amours ? (rires). On a gardé un lien précieux. Nous avons appris à travailler ensemble, à mieux nous connaître, et on continue d’avoir régulièrem­ent des échanges. Nous nous sommes réunis ce moisci, et plusieurs de nos organisati­ons – pas toutes – ont pris des positions communes au sujet de la loi immigratio­n. On s’exprimera ou on agira à nouveau ensemble sur des sujets qui nous rassemblen­t, j’en suis persuadée.

À quelle occasion ?

Pourquoi pas sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, avec une mobilisati­on commune pos

sible le 8 mars ? Autour des élections européenne­s, peut- être également…

La CFDT participer­a aux élections européenne­s ?

Nous auditionne­rons les différents groupes du Parlement européen (sauf l’extrême droite, avec laquelle nous n’échangeons pas) pour connaître leurs positions sur les grands enjeux liés au travail, à l’emploi ou à la protection sociale. Nous les publierons pour aider les électeurs à faire leur choix, et nous appelleron­s à participer au scrutin, mais nous ne soutiendro­ns pas de liste en particulie­r. Nous combattron­s les idées de l’extrême droite, en revanche, en montrant comment elle s’en prend au monde du travail dans les pays où elle a pu accéder à des responsabi­lités.

Où en êtes-vous dans le combat pour l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ?

La CFDT a obtenu que le sujet soit inscrit en tant que tel à la conférence sociale qui s’est tenue mi- octobre. Trois groupes de travail ont été constitués, sur la refonte de l’index égalité femmes-hommes, la transposit­ion de la directive européenne sur la transparen­ce salariale et l’accompagne­ment à la parentalit­é. L’écart moyen de salaire entre un homme et une femme est de l’ordre de 7 % pour les femmes sans enfants et de 30 % pour celles qui en ont trois ! Il faut travailler sur ces trois axes pour mener ce combat.

Quels seront vos autres grands sujets en 2024 ?

La transition écologique juste au travail, les reconversi­ons profession­nelles face aux évolutions des métiers, et le pouvoir d’achat, qui reste le premier sujet de préoccupat­ion des travailleu­rs.

La « transition écologique juste » ? C’est-à-dire ?

Une transition écologique qui intègre la notion de progrès social, en s’appuyant sur la participat­ion de tous. La CFDT vient de publier un manifeste sur la question, une sorte de boîte à outils à dispositio­n de nos militants pour inciter leurs entreprise­s et administra­tions à s’engager dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique, en associant leurs salariés. Il faut qu’ils puissent s’exprimer sur ce qu’ils vivent au travail, la façon dont ils peuvent agir eux-mêmes, et anticiper les mutations du travail liées au changement.

Pour anticiper les « évolutions des métiers » dont vous parlez ?

Oui. La transition écologique et l’intelligen­ce artificiel­le générative vont révolution­ner des pans entiers de l’activité économique. Il est essentiel d’impliquer les salariés pour mieux s’y préparer. Ce qui permettra aussi d’arrêter d’assigner les syndicats à l’accompagne­ment des fermetures massives et la gestion des drames sociaux. Nous ne sommes pas que des pompiers de service. Nous voulons aussi construire l’avenir.

Rangeriez-vous France Travail dans la catégorie des réformes qui permettent de préparer l’avenir ? La mise en réseau de tous les opérateurs chargés de l’insertion des demandeurs d’emploi me semble être une bonne chose, mais la loi qui crée France Travail ne fait pas que cela. Elle modifie aussi profondéme­nt les conditions d’attributio­n du RSA (revenu de solidarité active). Instaurer des heures d’activité obligatoir­es, c’est laisser penser que les allocatair­es choisissen­t de ne pas travailler, ce qui ne correspond pas à la réalité. Cette suspicion me rappelle celle que l’on trouve à l’égard des sans-papiers dans la nouvelle loi immigratio­n. C’est une bascule politique inquiétant­e. La CFDT est en profond désaccord avec cette façon de voir les choses.

La revalorisa­tion des minima sociaux au 1er janvier est-elle suffisante ?

Pas au regard du niveau de l’inflation, non. On ne peut pas vivre dignement avec les montants alloués. Je le redis, le pouvoir d’achat reste la préoccupat­ion numéro un des travailleu­rs. Ça l’était en 2023, ce le sera encore en 2024. De nombreuses branches profession­nelles ont encore des coefficien­ts sous le Smic. Nous continuero­ns à négocier pour y remédier. Y compris dans la fonction publique.

Les augmentati­ons 2023 pour les fonctionna­ires, en point d’indice et en valeur du point, n’ont pas été à la hauteur de l’inflation ?

Elles sont réelles en 2023, mais elles ne suffisent pas à rattraper les retards accumulés les années précédente­s, et le gouverneme­nt a annoncé qu’il n’y aurait pas de nouvelles revalorisa­tions en 2024. Pour la CFDT, l’année qui vient ne peut pas être une année blanche.

Que vous disent les premiers retours dont vous disposez sur les élections profession­nelles ?

Ces premiers retours sont très partiels, il faudra encore quelques semaines pour avoir une image claire, mais je peux vous dire que nous avons enregistré près de 85 000 nouvelles adhésions sur l’ensemble de l’année 2023. La parole portée par la CFDT a été appréciée pendant la mobilisati­on sur les retraites, mais la courbe n’a pas fléchi après l’été. Nous restons dans une dynamique très positive.

 ?? ?? Marylise Léon a succédé le 21 juin à Laurent Berger à la tête de la CFDT.
Marylise Léon a succédé le 21 juin à Laurent Berger à la tête de la CFDT.
 ?? | PHOTO : STEPHANE GEUFROI , OUEST-FRANCE ?? .
| PHOTO : STEPHANE GEUFROI , OUEST-FRANCE .
 ?? | PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE ?? .
| PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE .
 ?? | PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE ??
| PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
 ?? | PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE ??
| PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE

Newspapers in French

Newspapers from France