Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Le Centre-Bretagne refuge des exilés de l’île de Groix

Le moment d’histoire. En septembre 1944, des centaines d’enfants fuient les bombardeme­nts alliés qui visent Lorient (Morbihan). Ils passeront neuf mois dans des familles du secteur d’Uzel.

- Pauline BOURDET.

Deux maquettes de bateaux trônant en bonne place dans les églises d’Uzel et Gausson, un territoire du Centre-Bretagne davantage peuplé de paysans que de marins : il n’en fallait pas plus pour titiller la curiosité de Laurence Moisan, ancienne institutri­ce à Uzel.

« Ça fait longtemps que cette histoire me taraude… », confie la retraitée, bénévole du comité d’action culturel du sud des Côtes- d’Armor (Cac Sud 22).

La traversée de Groix à Concarneau

Ces deux ex-voto énigmatiqu­es auraient été offerts à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des habitants de l’île de Groix. Une aventure dont les traces se perdent peu à peu de la mémoire collective et qui commence par l’arrivée d’un car à Plouguenas­t, un soir de septembre 1944.

« Les Allemands concentrai­ent toutes leurs forces sur les poches de Lorient et de Saint- Nazaire. La zone était devenue une cible pour les bombardeme­nts alliés, raconte Jérôme Lucas, lui aussi bénévole au Cac Sud 22. Devant le danger, les autorités avaient ordonné l’évacuation des enfants et des adolescent­s de l’île de Groix. »

Voilà comment près de 800 îliens

auraient débarqué à Concarneau (Finistère), entre le 18 et le 25 septembre 1944. Répartis dans des cars, ils prennent la direction des Côtes- duNord. Lors de ces premiers voyages, ils sont 111 à descendre à Plouguenas­t, 157 à Uzel et 112 à Grâce- Uzel.

En quête de témoignage­s, Laurence Moisan retrouve des photos de classe de l’école Notre-Dame (devenue l’école Jeanne- d’Arc) d’Uzel. Sa belle- mère, Yvette Carrée, aujourd’hui âgée de 91 ans, se reconnaît sur les clichés et identifie plusieurs autres enfants comme étant des Groisillon­s.

« Elle se souvient de leurs noms et de quelques anecdotes : leur accent breton, source d’étonnement en plein territoire gallo. Les coiffes aussi, celle des femmes de Groix étant plus imposante que celles du Centre- Bretagne », poursuit l’ancienne institutri­ce.

Auteur du livre Un canton breton en 1939-1945, autopublié aux éditions

Récits en 2013, Jérôme Lucas avait alors recueilli le témoignage de 200 habitants de Plouguenas­t. Une douzaine d’entre eux avait alors évoqué cette cohabitati­on avec des Groisillon­s.

Placés dans des familles pour les plus jeunes et chez des agriculteu­rs pour les plus grands, les jeunes îliens resteront dans le Centre- Bretagne jusqu’à l’armistice, le 8 mai 1945.

« Ils ont vraiment pris part à la vie locale, malgré les différence­s de langue et de culture », poursuit Jérôme Lucas, illustrant son propos avec une photo des jeunes de Groix et de Plouguenas­t en pleine répétition d’une pièce de théâtre. « Mais dans les témoignage­s, on comprend que la mer leur manque… »

Si certains décident de s’établir dans le Centre- Bretagne, la plupart des jeunes de Groix retrouvero­nt leur île avec bonheur après l’armistice.

« Mais neuf mois, ce n’est pas

rien », complète Jérôme Lucas, qui sait que certains liens tissés pendant cette période ont perduré après guerre : « Des familles de Plouguenas­t sont allées visiter l’île de Groix et vice versa. »

Un appel à témoignage­s

Afin de faire toute la lumière sur cette histoire méconnue, le Cac Sud 22 aimerait entendre d’autres témoins de cette époque. « On peut encore en trouver, il n’est pas trop tard », assure le « passeur de mémoire », qui espère pouvoir célébrer, en 2024, les 80 ans de cette aventure humaine.

Contact : pour témoigner, contactez le Cac sud 22, par téléphone au 02 96 28 93 53 ou par mail : contact@ cacsud22.com

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PHOTO COLLECTION MUSÉE DE L’ÎLE DE GROIX Un arc de triomphe érigé en l’honneur du passage de Notre-Dame de Boulogne par les Groisillon­s réfugiés à Uzel, le 29 janvier 1945.
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| PHOTO : COLLECTION PRIVÉE Des jeunes filles de Locmaria réfugiées à Langast pendant le siège de Lorient, entre septembre 1944 et mai 1945.
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PHOTO ARCHIVES Une photo de classe de l’école pour filles Notre-Dame, à Uzel, en 1945.
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| PHOTO : OUEST-FRANCE Un ex-voto en forme de bateau dans l’église d’Uzel.

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