Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Aux repas de famille, la loi des potins et ragots

Lors des retrouvail­les de fin d’année, la séquence « ragots et potins » concernant les absents n’est pas rare. Mais, pourrait- on assurer la cohésion du groupe autrement ?

- Propos recueillis par Audrey GUILLER.

Marie-Agnès Chauvin, psychologu­e et autrice de Continuons à penser du mal des autres (Eyrolles).

Pourquoi ne peut-on pas s’empêcher de parler des autres dans leur dos ?

D’abord, parce que cela met en jeu deux fonctions typiquemen­t humaines : la parole et la pensée critique. Parler est une façon puissante de créer une relation. Quant à douter et critiquer, c’est un moyen d’avancer pour une société.

Ensuite, dans un groupe, tout humain a besoin de manifester son identité. Si l’on a suffisamme­nt confiance en soi, on affirme sa différence de manière douce. Quand on est moins sûr de soi, la meilleure façon de se trouver beau, c’est de dire que l’autre est moche. La médisance sert à se rassurer.

Même en famille ?

Tout groupe est anxiogène, même un repas de famille avec des gens que l’on connaît bien. On a peur d’être jugé par l’autre. Inconsciem­ment, le groupe va donc oeuvrer pour créer une cohésion agréable : on boit de l’alcool, on trinque en souriant, ou alors on dit du mal des absents.

C’est un outil formidable pour resserrer un groupe fragilisé. On cherche l’unité en fustigeant les autres. En confiant un ragot, on achète par ailleurs la confiance de l’autre, qui nous confiera peut- être autre chose en retour.

Comment se retenir ?

D’abord, on ne culpabilis­e pas d’avoir envie de critiquer. Ensuite, on s’autorise à penser ce qu’on veut, mais on ne le dit pas. On garde la pensée pour soi et on l’utilise comme un outil de développem­ent personnel.

Car, lorsqu’on critique les autres, ce sont nos propres manques qu’on projette sur eux. Alors, au lieu de dire : « Tante X s’habille de façon vulgaire », il faut se demander : « Qu’est- ce que ce jugement dit de moi ? Quel désir inavoué se cache derrière ma critique ? »

À quoi bon cesser de ragoter ? Parler dans le dos de quelqu’un risque de faire souffrir la personne. Et quand on émet des énergies négatives, elles ont de fortes chances de nous revenir en boomerang. Par ailleurs, si les ragots visent à rassurer notre ego, ils ouvrent aussi le chemin au rejet.

Si je peux considérer que le différent a autant de valeur que moi, si j’accepte l’idée que plusieurs vérités peuvent coexister, alors je n’ai plus besoin de critiquer d’autres façons de faire, de juger celles et ceux qui n’agissent pas comme moi. J’ouvre ainsi la voie à la paix.

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| PHOTO : CHARLES DUTERTRE

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