Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Les expérience­s vécues m’ont forgé ce mental »

Arkea Ultim Challenge. Départ de Brest le 7 janvier. Armel Le Cléac’h, le skipper de Banque Populaire XI, l’un des six trimarans géants engagés sur ce tour du monde en solitaire, se confie.

- Entretien

Le 12 novembre, Armel Le Cléac’h remportait la Transat Jacques Vabre, sa première grande victoire en Ultim. Quelques jours plus tard, en terrasse, sous les palmiers et la chaleur martiniqua­ise, et devant un jus de fruits frais, le skipper de Banque Populaire XI s’est longuement confié à OuestFranc­e.

Psychologi­quement, avez-vous senti les bienfaits de votre succès sur la Transat Jacques Vabre, cette grande victoire en multicoque­s que vous attendiez ?

Oui. Cela n’a pas été une transforma­tion mentale mais bien sûr qu’il y a du soulagemen­t, du plaisir. Le sentiment, surtout, du travail bien fait. C’est ce dernier point qui est le plus mis en avant. On est sorti d’une Route du Rhum 2022 compliquée, on s’est remis au travail avec l’équipe, on a refait une dérive, bossé sur d’autres aspects du bateau pour l’améliorer.

Avoir réussi à concrétise­r ça sur la Transat Jacques Vabre, à passer outre ce qu’on a vécu il y a un an, c’est un sentiment de satisfacti­on, de victoire, qui fait du bien. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas gagné une grande course.

« Chez moi, c’est plus agité… »

Faut-il aussi se méfier d’une victoire qui peut amener du relâchemen­t ? C’est ça, l’après-victoire. Il ne faut pas tomber dans l’euphorie, le fait d’être un peu blasé. Il ne faut pas se dire qu’on a fait le plus dur et que maintenant, on va pouvoir souffler. J’ai déjà vécu ça après une victoire sur une grande course. On est encore un peu dans l’euphorie de la victoire précédente, la suite ne se passe pas bien et très vite, on retrouve directemen­t de mauvaises ondes.

En même temps, il faut profiter de la victoire, parce que c’est un grand moment qu’il faut savourer. C’était ma huitième Jacques Vabre, ma première victoire en Ultim sur une grande course. Mais je sais aussi qu’il va falloir vite switcher. Le tour du monde en solo, c’est demain.

Vous avez évoqué votre passé compliqué en multicoque­s. Aviez-vous eu l’impression d’être maudit ? Maudit, non. Mais je me suis dit que le sort s’acharnait un peu, notamment sur La Route du Rhum. J’ai une histoire compliquée avec cette course. 2014, la blessure. 2018, le bateau qui coule. 2022, la dérive qui casse… Il faudra y retourner, c’est prévu. Maintenant, j’avais le sentiment aussi que Banque Populaire XI était un bateau

avec un vrai potentiel. On l’avait déjà vu l’an dernier, notamment sur la Finistère Atlantique. On avait passé huit jours côte à côte avec le Maxi Edmond de Rothschild, le bateau référent. Depuis, on a progressé. Il fallait attendre son heure. On aurait aimé que La Route du Rhum soit une validation, cela ne l’a pas été du tout. Il a fallu être patient.

On a l’impression que les grands champions partagent une force mentale qui les conduit à ne jamais douter, qu’ils font toujours preuve de résilience pour atteindre les sommets. Pensez-vous être fait de ce bois-là ?

Peut- être. Les expérience­s vécues dans ma carrière m’ont peut- être forgé ce mental qui me permet de rebondir, de repartir à chaque fois de l’avant, même quand je suis parfois très bas. Que ce soit en Figaro, en Imoca ou en Ultim, j’ai eu une trajectoir­e variée, avec des très hauts et des moments bien plus difficiles. J’ai souvent réussi à revenir après des échecs. Cela fait partie de mon histoire.

Mentalemen­t, ça m’a endurci, pour passer outre cette pression qu’on peut avoir, ces ouï- dire. Je me suis beaucoup nourri du parcours de grands sportifs dans d’autres discipline­s comme le tennis ou le golf. Dans le sport individuel, pas mal de champions ont été au sommet, sont tombés très bas et sont revenus. Je m’identifie plus à ces parcours- là qu’aux grands champions qui ont un parcours linéaire. Je n’ai pas eu cette chance- là, ce talent- là. Chez moi, c’est plus agité.

Après votre naufrage de 2018, vous

aviez fait un gros travail mental, pour gérer l’appréhensi­on notamment. Vos victoires récentes sontelles aussi le fruit de ce travail-là ? L’expérience de 2018 m’a beaucoup servi. Il y a un avant et un après. C’était le pire moment de ma carrière en termes de vécu, de risque, de danger. Perdre un Ultim, c’est quelque chose d’énorme. Il a fallu travailler, rebondir, revenir plus fort, analyser tout ce qui s’était passé. Cela m’a servi, comme la confiance de l’équipe et du sponsor.

Cela fait maintenant douze ans que Banque Populaire me suit, ils m’ont toujours renouvelé leur confiance dans ma capacité à mener ces bateaux- là en solitaire. Il faut l’envie, l’énergie pour y aller aussi. Le tour du monde qui arrive, c’est une première. Je n’ai jamais fait de tour du monde en multicoque­s, même en équipage. Je vais tout découvrir dans la gestion du niveau qu’il va falloir engager durant ce mois et demi de course.

« Ce n’est pas parce que j’ai gagné ce que j’ai gagné que ça va être facile »

Aujourd’hui, qu’est-ce qui pourrait vous faire douter ou flancher ? Clairement, je ne fais pas le malin au départ de ce tour du monde. C’est une course à laquelle j’ai envie de participer, mais je sais que ça va être quelque chose de costaud. Mener un Ultim en solitaire, c’est déjà un exercice compliqué. Sur un tour du monde, on ne peut pas faire plus difficile, ni plus long.

J’y vais avec beaucoup d’humilité, même si je m’appelle Armel Le Cléac’h, même si l’on peut dire que j’ai vécu beaucoup de choses. Je n’y vais sans prétention aucune, cela va être dur du début à la fin. On va quand même partir au mois de janvier, avec tout le parcours que l’on connaît et qui est loin d’être évident, et on va revenir mi-février, là aussi on peut se retrouver dans des conditions très, très compliquée­s pour finir la course. C’est un sacré challenge. Je vais le prendre avec beaucoup de mesure et de concentrat­ion. On va avancer étape par étape. Pour le coup, ce n’est pas parce que j’ai vécu ce que j’ai vécu, ou gagné ce que j’ai gagné, que ça va être facile.

Recueilli par Valentin PINEAU.

L’intégralit­é de l’interview, en trois volets sur ouest-france.fr/ sport/voile

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| PHOTO : THOMAS BREGARDIS / OUEST-FRANCE Armel Le Cléac’h skipper de l’Ultim Banque Populaire XI a remporté la Transat Jacques Vabre avec Sébastien Josse.
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