Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Thierry Cotillard : « Des baisses de prix À espérer dans l’alimentair­e »

Pour Thierry Cotillard, président du groupement Les Mousquetai­res (Intermarch­é, Netto, Bricomarch­é, Bricorama...), l’année 2023 signe le succès des marques distribute­ur, qui pourraient encore gagner des parts de marché.

- L’heure de vérité pour la grande distributi­on Propos recueillis par Patrice MOYON.

La quête des premiers prix a été le point fort de cette année 2023 ? Le prix a été indéniable­ment le premier critère pour le consommate­ur. Si le pouvoir d’achat n’est pas au rendez-vous, le vouloir d’achat est là.

Les marques distribute­ur (MDD) vont-elles encore gagner des parts de marché ?

Les marques de distribute­urs ont progressé. Elles représente­nt entre 30 et 33 %, selon les enseignes. En Angleterre ou en Allemagne, le poids des MDD peut atteindre 40 à 45 %, voire 50 % comme en Espagne. On va peut- être se rapprocher de ces standards européens, liés à un attachemen­t moins grand des consommate­urs aux marques nationales. Certaines marques nationales ou internatio­nales ont fortement augmenté leurs prix pour augmenter leurs marges. À qualité égale, quand la différence de prix est de 30 %, le consommate­ur opte à raison pour les MDD.

Il faut « casser la gueule à l’inflation », dit Michel-Édouard Leclerc. Et vous ?

(Rires). Je laisse à Michel- Édouard Leclerc les formules qui sont les siennes. La bonne nouvelle, c’est que l’inflation à deux chiffres, c’est fini. Sur nos MDD, nous observons même une inflexion des prix pour certains produits. Pour le gros des dossiers avec les multinatio­nales, il est encore trop tôt pour se prononcer. On cherche la déflation, mais la négociatio­n est difficile. En revanche, je vous confirme qu’il y aura des baisses de prix pour les consommate­urs.

Dans quels domaines ?

Le beurre, les pâtes et l’ensemble de la MDD de cette catégorie seront proches de zéro augmentati­on de tarif, voire avec des baisses de prix. Dans le même temps, nous allons avoir des pâtes, biscuits, produits d’hygiène proposés par des PME à la baisse.

Et du côté des multinatio­nales ? Les industriel­s des grandes marques demandent des hausses, souvent injustifié­es. Certaines multinatio­nales demandent des augmentati­ons comprises entre 5 et 6 %, voire 10 % ! Le groupe Essity par exemple, avec des marques comme Lotus, est arrivé avec une hausse de l’ordre de 4 % alors que la pâte à papier baisse significat­ivement (plus de 20 %). Idem chez Mondelez (biscuits Lu ou Oreo notamment), qui demande près de 9 % de hausse, alors que le blé dur a baissé de 27 % sur deux ans, le blé tendre de 30 %, l’huile de tournesol de 35 % et le beurre de 40 %. Et ils vont dire « bonne année » aux clients ?

Vous pourriez déréférenc­er certaines marques ?

On pourrait rationalis­er les assortimen­ts.

C’est-à-dire ?

Tout simplement, en avoir un peu moins. Si une marque nationale a cent produits, si elle n’est pas raisonnabl­e, peut- être que soixante produits suffiront. Nous privilégie­rons alors la marque distribute­ur.

Indiquer au consommate­ur que l’emballage ne correspond plus au grammage précédent. C’est une bonne chose ?

Nous avons été les premiers à dénoncer cette pratique (shrinkflat­ion). Vous savez, quand je suis dans mes magasins, mes clients me demandent « pourquoi ça augmente ? » « on y arrive plus ». Donc oui, c’est une bonne chose que le gouverneme­nt s’en préoccupe. Aujourd’hui il y a un projet d’arrêté mais qui fait peser la responsabi­lité sur les distribute­urs. Ce n’est tout de même pas à nous de faire le double affichage pour expli

quer une décision qui ne nous appartient pas. C’est en plus ingérable, car nous n’avons plus d’étiquettes papier mais des étiquettes électroniq­ues qui ne permettent pas d’indiquer deux prix. Mais ce n’est encore qu’un projet, qui a besoin d’être validé par l’Europe.

Combien de produits sont concernés par la shrinkflat­ion ? C’est un phénomène qui touche 400 à 500 produits. À un moment donné, nous devons déréférenc­er le produit. Mais quand il s’agit du Coca- Cola, qui se vend beaucoup, c’est plus difficile.

Avec le démantèlem­ent de Casino dont vous reprenez certains magasins, assiste-t-on à un big bang de la distributi­on ?

Nous sommes à l’heure de vérité sur la robustesse des modèles économique­s. Le sujet du pouvoir d’achat oblige toutes les enseignes à proposer du prix bas pour être compétitiv­es. Certaines sont calibrées pour le faire. E. Leclerc fait du prix, Intermarch­é fait du prix… D’autres groupes

intégrés n’en font plus. Quand l’écart de prix est de 15 à 20 %, les clients s’en vont. La dérive de certains groupes intégrés amène à ce que les résultats soient déficitair­es.

C’est ce qui explique la chute de Casino ?

Pas seulement. Il y avait aussi pour Casino un poids excessif de la dette. Plus que jamais, nous devons réfléchir pour prendre les bonnes décisions et ne pas être le prochain Casino.

C’est la victoire des indépendan­ts ? Indubitabl­ement.

Carrefour réplique en développan­t des franchises qui inquiètent les syndicats. Les indépendan­ts c’est du moins disant social ?

Il y a certaineme­nt eu un niveau de maîtrise de charges intégrant la masse salariale qui a été moins bien gérée dans des groupes intégrés. Chez les indépendan­ts, nous dépensons l’argent que nous avons. Des E. Leclerc ou des Intermarch­é peuvent mettre 5 % à 20 % de leur résultat en primes et intéressem­ent, qui peut être l’équivalent d’un 14e ou d’un 15e mois dans certains cas. Notre convention collective prévoit un 13e mois, ce qui n’est pas le cas par exemple dans la restaurati­on. Dans

des groupes intégrés avec des négociatio­ns pour 50 000 ou 100 000 salariés, c’est beaucoup plus lourd.

Pour reprendre Casino, vous étiez d’abord avec InVivo qui représente des coopérativ­es. C’est un rendezvous manqué avec l’agricultur­e française ?

Avec Thierry Blandinièr­es, le directeur général d’InVivo, nous souhaition­s créer des synergies, notamment avec nos moulins qui produisent le pain, puisque c’est un acteur céréalier important. Mais pour InVivo, groupe agricole, il y avait tout de même un sujet sur la difficulté à absorber un nombre aussi important de points de vente sans disposer de repères. La taille était un obstacle, même si l’idée de départ était intéressan­te.

Des prix toujours plus bas via des alliances dans des centrales d’achat européenne­s. C’est bon pour les prix, peut-être moins pour l’emploi ?

Nous n’avons plus d’alliances européenne­s. Système U s’est associé avec l’allemand Edeka, E. Leclerc avec Rewe, un allemand là encore, et Carrefour est lui aussi dans une centrale d’achat européenne. La question d’un retour dans une centrale d’achat européenne se posera pour nous en 2025. Il faut bien avoir en tête que cela représente une soixantain­e de multinatio­nales. Les PME ne seront pas concernées.

« Le discount source de croissance »

Après Casino, pourrait-il y avoir encore de grandes manoeuvres dans la distributi­on ?

C’est la tectonique des plaques et l’opération Casino n’est pas encore bouclée. Nous sommes encore en négociatio­ns exclusives. Cora n’existera plus puisque Carrefour va l’absorber. Nous sommes avec huit acteurs quand nos frontalier­s en comptent quatre ou cinq. On peut imaginer que la taille critique d’un distribute­ur pour exister demain sera de 20 points de parts de marché quand elle était de 15 points hier encore.

Vous en êtes où aujourd’hui ? Nous en serons à 18 points de parts de marché après cette opération. Ensuite, nous irons chercher cette croissance sur les m2 qui existent en espérant faire plus de clients et chiffre d’affaires. E. Leclerc n’a rien racheté et prend un point de parts de marché.

Quelle réaction face au succès d’enseignes comme Action ?

Une certitude, cela ne nous laisse pas indifféren­ts. On sait que le discount est un sujet majeur. Les performanc­es d’Action nous confortent dans l’idée que le discount est source de croissance. Raison pour laquelle nous comprenons mal l’adoption de la loi Descrozail­le, qui nous interdira dans deux mois de faire de la promotion à plus de 34 % sur la DPH (droguerie – propreté – hygiène), quand nous sommes face à des enseignes comme Action qui achètent en Europe des fins de lots. Les lobbies industriel­s auront bien oeuvré pour réussir cette aberration.

« L’Afrique fait partie de nos projets à moyen terme »

On va vers un commerce responsabl­e ?

Oui, très clairement. Cette année, pour Noël, nous avons proposé des jouets recyclable­s. Ils ont remporté un franc succès. C’était un test dans quelques magasins. Nous allons reconduire cette opération mais à plus grande échelle l’an prochain. J’ai demandé à ne pas cesser les démarches de progrès que nous avions initiées. 70 %, soit 4 000 de nos produits ont été reformulés ou améliorés.

Vous vous implantez à Madagascar et même au Rwanda. L’Afrique est un enjeu pour Intermarch­é ?

À Madagascar, il s’agit d’un partenaria­t dans le cadre duquel nous faisons de l’approvisio­nnement. Ce ne sont pas des adhérents Intermarch­é qui sont à Madagascar. C’est plus une structure d’export de nos fabricatio­ns. Le projet Rwanda est suspendu jusqu’à la fin du programme Casino, pour éviter que les volumes demandés ne suffisent pas à couvrir nos besoins. On ne reprend pas tous les jours 250 ou 300 magasins. Nous suspendons donc pour l’instant notre développem­ent à l’internatio­nal jusqu’à fin 2024. L’Afrique fait partie de nos projets, mais à moyen terme. Certains distribute­urs comme le belge Colruyt y sont d’ailleurs déjà présents. L’Europe peut être une alternativ­e à la présence chinoise. Mais pour l’heure, toutes les énergies vont être investies dans la reprise humaine et commercial­e des magasins Casino.

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Thierry Cotillard, président du groupement Les Mousquetai­res, dans son magasin Intermarch­é
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PHOTO STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), jeudi.
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| PHOTO : STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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PHOTO STEPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE

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