Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Les jeunes attendent beaucoup des médias »
Depuis 2012, Anne Cordier a rencontré 250 élèves des Hauts-de-France, de Normandie et des Pays de la Loire, du CE1 à la première, pour enquêter sur le rapport aux médias et à l’information des jeunes.
Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine et chercheuse au Centre de recherche sur les médiations (Crem).
Commençons par une idée reçue : est-ce que les jeunes ont arrêté de s’informer ?
Pas du tout. En fait, lorsque l’on dit que les jeunes ne s’informent pas, on estime qu’ils devraient s’intéresser à des sujets dits « sérieux », comme l’actualité politique, internationale, etc. Or, les « jeunes » s’informent sur plein de sujets, comme les questions de genre, celles liées au climat ou des problèmes de société, notamment sur les violences faites aux enfants. Mais ce sont des thématiques qui, parfois, intéressent moins la société adulte.
Comment s’informent-ils ?
D’abord, c’est difficile de figer les jeunes dans une catégorie sociale homogène. Le milieu social, le parcours académique, professionnel ou encore personnel va modifier les besoins informationnels de chacun. Cette veille se fait principalement via les réseaux sociaux et les médias 100 % vidéo [Brut, Konbini, Loopsider, etc.]. Au contraire, ils vont trouver que les sujets qui les intéressent sont peu – ou mal – traités dans les médias plus traditionnels.
Qu’est-ce que cela veut dire, de s’informer via les réseaux sociaux ? En fait, le réseau social est un canal qui est utilisé pour pouvoir accéder à toutes sortes de sources d’information. On y retrouve les médias traditionnels, comme Ouest- France, La Voix du Nord ou Libération, mais aussi des créateurs de contenus (Hugo Décrypte, Micode, etc.). Les jeunes – et parfois les moins jeunes aussi – ont délégué leurs systèmes de veille de l’actualité à ces réseaux sociaux. Bien sûr, ça nécessite de développer une forte culture des sources, pour séparer la bonne info de l’ivraie.
Mais ils ne subissent pas forcément cette relation avec les réseaux ?
Non, les jeunes connaissent le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux (qui « optimisent » l’affichage des publications sur les fils d’actualité, en fonction des centres d’intérêt des utilisateurs), et jouent avec. Ils vont « liker » une page, en suivre une autre ou aimer une vidéo, afin que ces contenus reviennent plus fréquemment dans leurs flux. Ils délèguent leurs systèmes de veille aux réseaux sociaux, mais prennent quand même soin de les configurer en amont.
À côté des réseaux sociaux, on trouve les médias 100 % vidéo. Ils sont, eux aussi, devenus la norme ?
Oui, ces nouveaux médias sont extrêmement cités par les nouvelles générations. Mais elles font bien la distinction entre deux notions lorsqu’elles en parlent : le plaisir et la confiance. Pour les jeunes, ces pure players sont extrêmement plaisants à regarder, mais ce ne sont pas systématiquement les médias dans lesquels ils ont le plus confiance.
Et quels sont les médias investis de
cette confiance ?
Principalement la presse, qu’ils décrivent comme une présence rassurante. Paradoxalement, d’ailleurs, puisqu’ils indiquent que c’est le média dans lequel ils ont le plus confiance, que c’est important qu’elle existe, mais ils ne la lisent presque pas, dans sa version imprimée s’entend.
Quelles sont les raisons ?
C’est clairement parce qu’il y manque le côté audiovisuel. Et, lire un article, ça prend du temps. Cette question de la temporalité est devenue centrale dans le regard que portent les jeunes sur l’information. Sur les sites des médias 100 % vidéo, le temps des contenus est clairement indiqué, et les jeunes générations vont s’appuyer sur cette référence pour choisir ce qu’ils vont regarder. L’information est désormais choisie non pas en fonction de son intérêt, mais en fonction du temps qu’on souhaite lui accorder. Ça, c’est symboliquement fort, et ça montre la puissance du dispositif technique.
Est-ce que l’information est perçue comme anxiogène par les jeunes ? Oui, et c’est quelque chose qui m’a beaucoup frappée dans mes entretiens avec eux. En fait, la notion de plaisir est très importante dans leur recherche d’informations. Et d’ailleurs, les jeunes adorent s’informer, notamment sur des sujets documentaires, que ce soit la santé, les pyramides, la sexualité, etc. Là, ils prennent du plaisir, même sur des sujets pas rigolos en soi. Mais alors, dès qu’on parle de l’information d’actualité, donc qui, entre guillemets, leur tombe dessus, ils disent tous qu’elle est hyper anxiogène, que ça les angoisse, que, parfois, ils ont besoin de couper ou que ça ne leur donne pas envie de vivre.
Quel serait le média idéal pour les jeunes générations ?
Alors ça, c’est toujours le vrai problème. En fait, le média idéal, ce serait presque un média totalitaire. Les plus jeunes rêvent souvent d’un média unique. Ils voudraient un grand média en lequel ils puissent avoir confiance de façon absolue. Et donc, c’est forcément problématique ! Plus largement, ils souhaitent pouvoir consulter un média qui les prend au sérieux et qui fait écho à leur quotidien. Sur les questions liées au climat par exemple, ils expliquent avoir du mal à se représenter les faits très lointains. En revanche, lorsque l’information est axée sur le quotidien et qu’on l’ouvre sur la question du climat, là, ça prend plus de sens pour eux.
Le lien entre les jeunes et le monde médiatique n’est donc pas si distendu qu’on pourrait le penser ? Non, au contraire, les jeunes attendent beaucoup des médias, beaucoup plus qu’on ne le pense. Et les grandes figures d’autorité qu’ils citent ne sont pas que des créateurs de contenus, loin de là, mais aussi des figures traditionnelles. La figure de référence est d’ailleurs Élise Lucet. Il ne faut pas les décevoir.