Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Faire rire, ça s’apprend » : bienvenue Dans le monde des clowns hospitaliers
Loin d’être novices, les clowns intervenant auprès des enfants dans les hôpitaux sont des comédiens professionnels. Il existe même une école pour les former. Plongée dans un monde aussi drôle que sérieux.
Reportage
Collants jaunes, tee- shirts bariolés, perruques bleues et bien sûr… de beaux nez rouges ! Sortez les lunettes de soleil, on en prend plein les mirettes avec cette joyeuse classe de l’Institut du Rire médecin, à Paris.
Répartis en cercle, une dizaine d’élèves sont en plein cours de « clown corporel ». Nos amuseurs en herbe doivent, sans un mot, se passer un objet imaginaire en mimant. Et chacun a son style : du gentiment grotesque au carrément burlesque, du démesurément grand au tout petit riquiqui… Qu’est- ce qu’on rit !
« Jouez avec le rythme, conseille la professeure du jour, l’artiste Marine Benech. Variez l’ampleur de vos gestes, accentuez la qualité de vos mouvements. » À travers leurs corps, les comédiens apprennent à titiller notre imagination, nous transmettre un tas d’émotions. Car derrière son apparente facilité, déclencher un sourire demande en fait de la technique. « C’est un art », confirme Caroline Simonds, grande enfant de 74 ans à l’origine de ce projet fou.
700 heures de cours !
Caché dans les ruelles du XIXe arrondissement, l’Institut du Rire médecin est une école hors du commun qui « forme les comédiensclowns à exercer en établissements de soins » et dont la certification est reconnue par l’État. « Comme il ne suffit pas d’enfiler une blouse pour devenir infirmière, il ne suffit pas de mettre un nez rouge pour être clown », justifie Caroline Simonds. Cette Américaine au regard espiègle, clown professionnelle depuis « toute une vie », est arrivée en France il y a une trentaine d’années avec un rêve dans ses valises : faire entrer les nez rouges dans les hôpitaux, pour redonner aux enfants le pouvoir de rire face à la maladie.
En découle la création de l’association Le Rire médecin, aujourd’hui la plus importante en la matière en France. Puis en 2011, comme une évidence, celle de l’Institut : « Parce que c’est dans notre ADN de transmettre notre savoir-faire. » Pauline Réant, bras droit de la fondatrice, complète : « Les gens sont souvent étonnés : il existe un diplôme ? Vos clowns ne sont pas des bénévoles ? Non, ce sont des intermittents du spectacle, payés au cachet. » Parmi l’armée de 140 clowns du Rire médecin, répartis partout en France, certains ont été formés par l’Institut, d’autres sont des comédiens professionnels expérimentés, recrutés au cas par cas, qui suivent un apprentissage en interne. « Ce diplôme n’est donc pas obligatoire pour exercer chez nous, mais il permet d’aller plus loin et de faire reconnaître le métier. »
L’Institut propose un cursus de 700 heures, réparties en trois blocs qui s’étalent de novembre à septembre. Au programme, de l’enseignement théorique avec la découverte des différentes pathologies, du milieu de la santé, l’hygiène, les règles… « À l’hôpital on veut les meilleurs médecins, alors on veut aussi les meilleurs clowns. Et pour travailler main dans la main, il faut pouvoir parler le même langage », précise Pauline Réant. Les élèves travaillent également la pratique artistique : improvisation, musique et chant, jeu en duo… Le tout ponctué de périodes de com
pagnonnage sur le terrain, en hôpital. Enfin, côté professeurs, on retrouve des médecins, des artistes ou encore des clowns de l’association.
Dans la classe du jour, des visages jeunes, d’autres qui témoignent des années de joie accumulées. Tous viennent d’horizons différents mais possèdent déjà des bases artistiques et ont été sélectionnés sur dossier puis audition.
Au milieu de cette bande de rigolos,
il y a Manuel Maisonnier, trentenaire aux cheveux hirsutes issu du spectacle vivant. S’il est ici, c’est pour assouvir une quête de liberté : « J’avais besoin de retrouver du sens, d’aller vers des milieux où l’artiste est moins attendu et où sa présence a une réelle utilité. »
Manuel, comme ses camarades, sera évalué tout au long de l’année et devra passer un grand oral final devant un jury. La certification permet ensuite de se produire en hôpital, en Ehpad ou encore auprès de personnes handicapées. « Cette formation, c’est un gage de qualité », souffle Pauline Réant. Mais la qualité a un coût : 12 000 € l’année, éligible aux
« Avoir une utilité, retrouver du sens »
aides. « C’est un gros investissement personnel, financier aussi, mais ça me paraissait essentiel d’être préparée au milieu médical. C’est un jeu particulier, sur le fil », justifie Émilie Allio, l’une des élèves.
Finalement, derrière leurs airs de zozos, ils sont sacrément malins ces clowns. « Quelque part, le clown est un raté, mais un très beau raté, qui donne le pouvoir à tout le monde sauf à lui-même, sourit la fondatrice. Il faut beaucoup de finesse pour être crétin. »