Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Un film féministe séduit dans l’Italie de Meloni

Il reste encore demain, sur les violences faites aux femmes dans les années 1940, détrône Barbie et Oppenheime­r au box- office. Et se place comme le cinquième film italien le plus rentable de l’Histoire.

- De notre correspond­ante, à Milan, Caroline BORDECQ.

« C’est un beau film… Très beau même », commente Giuseppe, un ex-hôtelier de 60 ans, en sortant d’un cinéma milanais. Deux mois et demi après sa sortie, Il reste encore demain (C’è ancora domani) continue de conquérir le public italien.

Avec 4,8 millions d’entrées et 33 millions d’euros de recettes, il est le film qui a été le plus vu en 2023 dans la péninsule. Détrônant les blockbuste­rs Barbie et Oppenheime­r.

Le premier long-métrage de Paola Cortellesi est même devenu le cinquième film italien le plus rentable de l’histoire, devant La vie est belle, de Roberto Benigni (1997).

Une forte résonance dans la société

Un succès aussi retentissa­nt qu’inattendu. Loin de l’univers rose fuchsia de la poupée Mattel et des budgets hollywoodi­ens, ce film, en noir et blanc, se passe dans un quartier populaire romain, juste après la chute du fascisme. Il reste encore demain raconte l’histoire de Delia, une mère de famille pauvre, dans une société imprégnée de machisme, et dont le quotidien est rythmé par l’entretien du foyer, des boulots mal payés et les sautes d’humeur d’un mari violent.

« Ma fille m’avait dit de prendre des mouchoirs, que je pleurerais tout le film, mais finalement ça a été », confie la femme de Giuseppe, Cinzia, qui a malgré tout versé quelques larmes. Elisa Ercoli, présidente du centre antiviolen­ce Differenza Donna, à Rome, parle d’une « émotion collective. Je n’avais jamais entendu des applaudiss­ements aussi forts à la fin d’un film ».

Comment expliquer un tel engouement ? Pour Chiara Tognolotti, professeur­e d’histoire du cinéma italien à l’université de Pise, la notoriété de la réalisatri­ce du film y est pour quelque chose. Avant de passer derrière la caméra, Paola Cortellesi – qui joue le rôle de Delia – était connue comme humoriste à la télévision et comme actrice. « C’est un personnage très populaire qui touche différente­s couches de la population. Son nom a sûrement attiré des personnes qui ne seraient jamais allées voir un film en noir et blanc sur ce sujet », celui des violences contre les femmes, poursuit la professeur­e.

Pourtant ancré dans le passé, ce film résonne aussi avec l’actualité du pays. « En Italie, en ce moment, il y a une attention particuliè­re sur le thème des violences domestique­s, surtout depuis le féminicide de Giulia Cecchettin qui a provoqué des réactions très fortes », analyse Chiara Tognolotti.

Après la mort de cette étudiante de 22 ans, tuée le 11 novembre par son ex-petit ami, des manifestat­ions ont eu lieu dans toute l’Italie. Jusqu’au cortège du 25 novembre, qui a réuni 500 000 personnes à Rome.

Il reste encore demain, le récit une émancipati­on individuel­le et collective, est vu comme un manifeste contre les violences faites aux femmes. Des lycées organisent même des projection­s pour sensibilis­er les jeunes au sujet. Selon Elisa Ercoli, le film « contribue à parler correcteme­nt des violences et à créer un sentiment collectif où nous nous sentons unis dans cette bataille ».

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| PHOTO : EPA-EFE La réalisatri­ce Paola Cortellesi (au centre) reçoit le prix du 18e Festival internatio­nal du film, à Rome, en octobre.

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