Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
À la découverte des îles avec Rosanne Aries
Des îles sans nuit et d’autres sans saisons. Le Dictionnaire insolite des îles, de la journaliste Rosanne Aries, fait autant rêver qu’il incite à prendre soin d’une planète fragile.
Des ondées en embuscade dans un ciel à l’humeur fantasque. On pense aux « soleils mouillés » de Baudelaire. Le rendez-vous a été fixé à l’entrée du chenal des Sables- d’Olonne, en Vendée. Regard tourné vers le large. Mais c’est la pluie qui aura le dernier mot. Pas de quoi interrompre la conversation pour autant.
Rosanne Aries est intarissable quand on évoque le sujet. La journaliste et autrice vient de publier un Dictionnaire insolite des îles (1). Chaque page est un ricochet dans le temps et l’espace : géographie, botanique, climat, astronomie, pirates et corsaires.
Car ce petit livre qu’on peut glisser dans la poche fait autant rêver qu’il incite à prendre soin d’une planète fragile. Rosanne Aries revient de Lanzarote, dans l’archipel des Canaries (Espagne). « Une île qui affole l’imaginaire et où la lumière éclaire plus qu’elle n’écrase. » L’occasion, à chaque fois, de s’intéresser aux cultures agricoles et alimentaires, l’autre fil conducteur de sa vie professionnelle. « D’une manière générale, la façon qu’ont les habitants de se nourrir en dit beaucoup sur eux. »
L’homme qui inspira Robinson Crusoé
Si les îles font rêver, elles ont souvent été des lieux de relégation, où on parquait les parias de la société et les proscrits du monde. Comme Napoléon, emprisonné sur l’île de Sainte-Hélène à 1 500 kilomètres de l’Afrique et 3 000 kilomètres du Brésil. Ou Louise Michel et les communards, envoyés en Nouvelle- Calédonie en 1873.
Un exil parfois volontaire. C’est le choix fait par Alexandre Selkirk, embarqué sur un corsaire anglais au début du XVIIIe siècle. Mécontent des conditions de vie à bord, il choisit de se faire débarquer sur l’île de Más a Tierra, au large des côtes du Chili, avec pour tout bagage un mousquet, des balles, de la poudre, un couteau et une bible. Il va y rester 1 580 jours avant d’être sauvé par un autre corsaire anglais, Woodes Rogers.
Le retour à Londres est triomphal. La suite un peu moins. Pour lui, en tout cas. Sonné par ce séjour face à lui-même, il se noie dans l’alcool et meurt tragiquement au large du Ghana. Ses aventures vont nourrir l’imaginaire de Daniel Defoe qui fait d’Alexandre Selkirk son Robinson
Crusoé. Il faudra attendre 1960 pour que le Chili rebaptise l’île de son exil l’île Robinson Crusoé. Alexandre Selkirk, lui, n’a eu droit qu’à un petit îlot à proximité. Le romancier a gagné.
« C’est drôle, tu as des lectures de garçon », avait dit un instituteur à Rosanne Aries après un exposé. Ce dictionnaire est l’occasion de rendre hommage à des femmes longtemps laissées dans l’ombre ou qui ont bravé tous les interdits comme celui d’embarquer avec des hommes. C’est le cas de Jeanne Baret, l’amante de Philibert Commerson, le botaniste du roi Louis XV.
Un virus familial
Cette femme étonnante n’hésitera pas à suivre, déguisée en matelot, son compagnon. Rien ne l’arrête. Démasquée, on lui pardonne son imposture et on la laisse prendre le relais du botaniste lorsque ce dernier, blessé à la jambe, ne peut plus se déplacer. Ses milliers de spécimens collectés sont toujours visibles au Muséum national d’histoire naturelle.
Pour Rosanne Aries, Vendéenne titulaire d’une formation scientifique, la promesse d’une île a longtemps été différée. « J’ai dû attendre d’avoir 25 ans avant de découvrir Tahiti. C’était la première fois que j’allais à Paris et que je prenais l’avion. » Ce virus, elle le doit à Lucie, son arrièrearrière cousine, une petite Vendéenne d’1,50 m qui a embarqué pour les îles Fidji en 1922. « Toutes les familles ont leur légende. Lucie était chargée d’enseigner le français, les mathématiques et la cuisine à des jeunes filles. »
Les îles l’ont aussi aidée à traverser des périodes difficiles. Dans Histoire d’une manipulation en entreprise, elle raconte ce que peut être le harcèlement en entreprise, cette violence sans coups. Un livre préfacé par Jean- Claude Delgènes, le fondateur du cabinet Technologia spécialisé dans ces questions, et rédigé avec l’aide de spécialistes du travail.
Traverser la tempête et repartir. Mais aussi revenir. « Grâce aux lointains, j’ai compris la chance que j’avais de vivre en Vendée. » Avec une certitude : « Cela demande un effort, un travail que de préserver une île en soi. » (1) Éditions Cosmopole, 15 €.