Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Avec ma vie sur le dos » : ils travaillen­t

En France, des milliers de personnes habitent à plus de 100 km de leur travail et font chaque jour ou chaque semaine plusieurs heures de trajet. Tous évoquent un mode de vie épuisant mais facilité par le télétravai­l.

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Carine se compare à « une tortue », avec sa vie sur le dos. Élisabeth se sent « tellement fatiguée » qu’elle a arrêté de sortir. Après quinze ans d’allers-retours, Vivien a, quant à lui, appris à prendre « à la rigolade » les motifs de retard de la SNCF.

Tous vivent entre deux villes, distantes de plusieurs centaines de kilomètres, partagés entre vie profession­nelle d’un côté et personnell­e de l’autre, ne comptant plus les heures passées sur la route. Ils racontent les pour et les contre d’un mode de vie qu’ils jugent à l’unanimité « épuisant ».

« L’impression d’être piégée »

Ces allers- retours, Élisabeth (1), 33 ans, « en a pris [s]on parti, même si c’est lourd ». Cette photograph­e pour un musée parisien vit entre Lille et Paris depuis sept ans. Selon l’Insee, entre 2017 et 2020, ils ont été 979 Lillois à travailler à Paris, ce qui fait de Lille la première ville de navetteurs vers la capitale.

Depuis la pandémie de Covid, cependant, elle ne se rend plus à Paris que trois fois par semaine. « Le télétravai­l a changé ma vie, ditelle. Les trois jours sur site, je prends les photos. Les deux jours chez moi, je fais les retouches. »

Il lui faut un peu moins de deux heures pour aller au travail. Le matin, après une demi- heure de trajet vers la gare, elle prend le train de 8 h 12 pour une arrivée à 9 h 15, heure à laquelle elle déplie son vélo pour effectuer les quinze minutes restantes de trajet. Le soir, elle quitte le travail vers 16 h 15 pour arriver chez elle un peu après 18 h. « C’est le soir que c’est le plus dur, soupire- t- elle. J’ai l’impression d’être tellement fatiguée que je n’ai plus envie de sortir. »

En février, elle est devenue maman d’un petit garçon. Et l’idée d’avoir à conjuguer la vie de parent avec son mode de vie l’a « beaucoup stressée ». « J’ai repris à 80 %, après un congé parental, explique-t- elle. Le soir, enchaîner avec le bain, la cuisine, ce n’est pas facile. Mon compagnon est investi mais, parfois, c’est compliqué de lui faire comprendre la fatigue que ça implique pour moi. »

Élisabeth a longtemps vu sa situation comme « temporaire »… mais qui dure. « J’ai parfois eu l’impression d’être piégée. D’être enfermée dans cette situation et aussi d’imposer mon choix de vie à mon entreprise. Mais acheter une maison en région parisienne, ce n’est pas possible. » Une idée qui, de toute façon, ne l’enchante guère. « Je ne suis pas entassée dans le RER, j’ai ma place attitrée dans le TGV, c’est un luxe. Mais un luxe qui a son prix. »

Pour Vivien, la SNCF n’a plus de secrets. « Les retards de train ? L’automne, c’est à cause des feuilles, l’hiver, du froid, l’été, de la dilatation des rails », énumère l’homme de 37 ans, qui effectue la liaison Amiens-Paris depuis plus de quinze ans. Avec le temps, il a appris à prendre ces perturbati­ons « à la rigolade ».

« J’y vais moins à reculons »

Depuis le Covid, ce père de deux enfants de 2 et 6 ans ne se rend plus à Paris que deux jours par semaine, où il est cadre manager « AMOA » – assistant à maîtrise d’ouvrage – dans une entreprise du Xe arrondisse­ment. Il compte deux heures aller, deux heures retour. Sauf en cas de retard. « Ça m’est arrivé d’avoir trois, quatre heures de retard au bureau, raconte-t-il. Ou de devoir faire demitour, ou de vivre des transborde­ments en passant sur les voies… »

Changer de travail, « la question se pose régulièrem­ent mais ce n’est pas forcément une option », éludet-il. Dans la même entreprise depuis le début, il a vu sa situation évoluer vers des responsabi­lités au- delà de sa formation initiale. Ce qu’il ne pense pas trouver près de chez lui. Déménager n’est pas non plus une option. « On a choisi ce cadre de vie, assure Vivien. La proximité avec la campagne, le calme… »

Le matin, il arrive donc à 7 h 45 au bureau, qu’il quitte à 17 h pour une arrivée chez lui aux alentours de 19 h. « Sauf réunion, j’essaie de ne pas partir au- delà de 18 h parce que j’ai le risque de ne pas voir mes enfants, explique-t-il. Leur lire une histoire le soir, j’essaie de m’y tenir. »

« Tout anticiper, tout prévoir, tout gérer »

C’est son épouse qui gère les sorties d’école et les activités des enfants. « Ça a été particuliè­rement compliqué quand j’étais à cinq jours de travail en présentiel, reconnaît-il. Je sais qu’elle m’en a un peu voulu. »

Vivien décrit aussi une vie où l’improvisat­ion n’a pas sa place. « C’est compliqué d’organiser quelque chose, je pose même des RTT pour les rendez-vous médicaux », décrit- il. À tel point qu’il ne peut s’empêcher de se demander s’il pourra continuer à avoir ce mode de vie « avec le temps, l’âge… »

Gourde, ordinateur et des vêtements pour deux jours. 5 h 30, Lyon,

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| PHOTO : MAXIME LE CLAINCHE POUR OUEST-FRANCE L’hypermobil­ité cause une surfatigue.
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| PHOTO : ARCHIVES DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE Pour ces travailleu­rs, « les allers-retours sont épuisants », explique Éric Le Breton, sociologue.
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Gourde, ordinateur, vêtements pour plusieurs jours
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