Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Vingt ans de combat pour Thierry Lemétayer, fils d’une victime

- Anaëlle BERRE.

« Je ne vais pas tout raconter depuis le début, ça ferait trop… » Vingt ans d’un combat judiciaire, mais aussi médiatique et, avant tout, pour la vérité : il faudrait des heures, si ce n’est des jours à Thierry Lemétayer pour les résumer.

Ce papa de deux filles a perdu son père. C’était le 15 janvier 2004 : Georges Lemétayer naviguait comme mécanicien sur le Bugaled Breizh, un chalutier de Loctudy (Finistère), au large des côtes britanniqu­es. Le navire était en action de pêche lorsqu’il a subitement sombré, en moins d’une minute : ne laissant aucune chance au père de Thierry, ni aux quatre autres marins.

Son père, Thierry ne le voyait plus depuis des années. Mais parfois, tous deux s’écrivaient : « On se disait qu’on voulait se revoir. » Et puis, « on ne l’a jamais fait ».

« À treize ans et demi, mon père est parti à la grande pêche »

Quand il pense à Georges, Thierry imagine souvent « la première nuit qu’il a dû passer en mer… Il est parti à la grande pêche quand il avait 13 ans et demi. Je suppose qu’à cette époque-là, ce n’était pas le royaume de la poésie et de la bienveilla­nce pour un gamin qui monte à bord afin de nourrir sa famille. J’ai un grand respect pour ça. Et je pense que c’est ce qui m’a poussé à ne rien lâcher. »

En 2004, Thierry Lemétayer suit l’avocat des familles. « Au départ de cette affaire, moi je n’ai aucun doute en la Justice de mon pays. Il y a eu une cérémonie d’hommage aux victimes à Loctudy. Là, le ministre des Transports de l’époque, Dominique Bussereau, nous a serré la main, en nous assurant qu’on arrêterait les criminels qui ont fait ça… Mais au final, ça ne s’est pas passé comme je le pensais », retrace-t-il.

Comme nombre de marins-pêcheurs et proches des cinq victimes, Thierry est certain que c’est un sousmarin, pris dans les câbles du chalut du Bugaled Breizh, qui serait à l’origine du drame.

« Je ne veux pas que ça retombe sur mes filles »

Et en 2007, Thierry Lemétayer commence à entendre parler de la possibilit­é d’un non-lieu pour ce dossier où les zones d’ombre sont pourtant légion. « Je ne pouvais pas l’accepter. » Il entre alors en contact avec l’avocat parisien Me Dominique Tricaud, qui prend le dossier avec lui. « C’est peut- être mon tort, mais je suis quelqu’un de très indépendan­t. Je ne suis pas adepte des combats de groupe », reconnaît-il. 2007, c’est aussi l’année de naissance de sa fille aînée Clara. Iris suivra en 2009. « En fait, je ne veux pas que ça retombe sur mes filles. Je voudrais leur faire place nette », glisse- t-il.

La demande de mise en examen d’Andrew Coles, commandant du sous-marin britanniqu­e HMS Turbulent ; des diffusions, en France et dans les Cornouaill­es britanniqu­es, du film The silent Killer, réalisé par son beau-père ; sa position de partie civile dans les procédures judiciaire­s en France et Outre- Manche… Le combat de Thierry Lemétayer, qui se frotte régulièrem­ent au secret- défense, a souvent été émaillé de déceptions. Comme cette Inquest, à Londres, en 2021 : le juge anglais a conclu à un accident de pêche pour expliquer le naufrage. En France, l’affaire s’est terminée par un non-lieu en 2014, confirmé par la Cour de cassation en 2016.

« On s’est senti méprisé »

« Tout au long des procédures, on s’est senti méprisé », raconte-t-il. Un combat qui prend parfois des allures de « pot de terre contre le pot de fer ». Alors parfois, la perspectiv­e de tout laisser tomber est séduisante : « Je comprends vraiment que certains aient besoin de paix. Moi j’ai toujours cette question : est- ce que j’arriverai à être en paix si je ne fais rien ? »

Vingt ans plus tard, il reste à Thierry un monument en hommage aux marins à Loctudy. Un endroit où le Costarmori­cain se rend régulièrem­ent, lui qui n’a jamais pu veiller le corps de son père, disparu en mer. « Avant il y avait aussi l’épave, à Brest. Mais ils nous l’ont enlevé. Ça m’embête vraiment… », confie-t-il en référence au démantèlem­ent du Bugaled, en avril 2023.

« Un jour, on saura la vérité »

Pour le fils du mécano, « forcément, les 20 ans, ça ranime plein de trucs. Je me demande combien cette quête de vérité m’a abîmée… Il y a des gens qui ont besoin d’avoir un combat dans la vie. Moi je crois que je m’en serais volontiers passé. Mais en fait, je n’en sais rien… »

Vingt ans plus tard, toujours aussi peu de certitudes… Mais « une victoire quand même » pour Thierry Lemétayer : « Si un accident entre un sousmarin et un bateau de pêche venait à nouveau à se produire, je pense que ça ne se passerait plus de la même manière. Personne ne voudra repartir pour vingt ans de secrets et de mensonges. Je crois que je peux être fier de ça. »

Pour le reste, Thierry Lemétayer garde une autre conviction : « Un jour, on saura la vérité. Je n’ai aucun doute là- dessus. Mais est- ce qu’elle sortira de mon vivant ? Ça, je ne peux pas le maîtriser… »

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| PHOTO : VINCENT MOUCHEL/ OUEST-FRANCE Thierry Lemétayer, fils de Georges Lemétayer marin qui a disparu lors du naufrage du « Bugaled Breizh » en 2004.
 ?? | PHOTO : VINCENT MOUCHEL / ARCHIVES OUEST-FRANCE ?? en décembre 2022 au port de Brest, présentait la coque.
| PHOTO : VINCENT MOUCHEL / ARCHIVES OUEST-FRANCE en décembre 2022 au port de Brest, présentait la coque.

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