Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Deux enfants au coeur du réseau Turquoise en 1944

Le moment d’histoire. Yvon et Simone Jézéquel étaient des piliers du réseau de renseignem­ents. Anne Guerber- Jézéquel a écrit un livre sur les jeunes résistants de Lézardrieu­x, morts en déportatio­n.

- Kathleen PLAISANTIN.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Ty Glas, la maison familiale située à la sortie du pont Saint- Christophe, en direction de Lézardrieu­x, a peu changé. Longtemps, Yves et Marie-Louise Jézéquel ont entretenu le souvenir de leurs deux enfants, Simone et Yvon.

À peine âgés de 17 et19 ans en 1943, le frère et la soeur se sont engagés dans la Résistance, avant d’être déportés. Ils ne sont jamais revenus des camps de concentrat­ion. « Ici, c’était un tombeau. Il y avait une vitrine avec tous leurs effets personnels. Le grenier était un mausolée », relate Anne Guerber- Jézéquel, fille d’Alain, le benjamin de la fratrie.

Témoigner des actions des résistants

Pour transmettr­e cette mémoire, elle a patiemment consulté les archives familiales et collecté de nombreux documents. « Je ne voulais pas écrire un livre d’histoire. Je réhabilite la force du témoignage », insiste celle qui publie Nous n’irons pas vous visiter ce soir, aux éditions Illador.

L’ouvrage retrace, entre autres, les actions menées par le duo au sein du réseau de renseignem­ents Turquoise, dont Yvon était le chef. Car Yvon et Simone ont de qui tenir. Yves, qui devient maire de Lézardrieu­x et sénateur après le conflit, est un ancien combattant respecté de la Première Guerre mondiale, aveugle de guerre. « Dans son journal, Simone fait l’éloge de son père. Les jeunes étaient pétris d’idéaux patriotiqu­es », souligne l’autrice.

La première mission à laquelle participe Yvon échoue. Le 15 novembre 1943, alors qu’une vingtaine d’hommes doivent être exfiltrés vers l’Angleterre, le mitraillag­e de leur vedette, La Horaine, retarde l’opération d’une semaine.

Mais le 22 novembre, des conditions défavorabl­es empêchent Yvon et l’équipage d’embarquer les passagers. Le bateau gagne les rivages anglais. Le jeune homme suit deux mois de formation et revient en France, fin janvier 1944. « Il est chargé par le Bureau central de renseignem­ent et d’action (BCRA) et l’Intelligen­ce service de monter le réseau Turquoise (pour les opérations terrestres) et Blavet (pour les interventi­ons maritimes) », décrit l’autrice.

La trentaine de membres du réseau, répartis de Douarnenez (Finistère) à Paris, en passant par Morlaix, Guingamp ou Rennes, récoltent des informatio­ns sur les effectifs ennemis, leurs armements, les mouvements stratégiqu­es, le bilan des sabotages, etc.

Recrutée en ce début d’année, Simone convoie courriers et matériel. Le 14 avril 1944, elle se rend au 11, rue Gutenberg, à Rennes, quartier général des agents de liaison. La jeune femme est arrêtée par les Allemands. Quelques minutes auparavant, la Gestapo, qui a infiltré Turquoise, manque d’appréhende­r Yvon. Ce dernier réussit à s’échapper par la fenêtre. « Frère et soeur se sont croisés dans la rue sans se voir », soupire Anne Guerber- Jézéquel.

Yvon confie la valise contenant tous les papiers du réseau à Paul Béguier, journalist­e et futur rédacteur en chef adjoint de Ouest- France. Le 16 avril 1944, Yvon est arrêté à la gare Montparnas­se. « On pense qu’il l’a fait exprès. Il avait appris pour Simone, et il avait tout mis en sécurité », avance la fille d’Alain. Comme la cadette, il est transféré à la prison Jacques- Cartier à Rennes. « Et chose incroyable, il continue à collecter des informatio­ns en échangeant en morse avec ses voisins de cellule. »

Il transfère des messages depuis la prison

Pour transmettr­e ces renseignem­ents, le Lézardrivi­en demande à sa mère, Marie- Louise, de lui envoyer des livres. Anne Guerber- Jézéquel saisit un des six ouvrages, La ferme du pendu, et l’ouvre page 44. Il faut regarder longtemps avant de déceler, sous certaines lettres, un petit point. Se dessine la phrase « Chers parents… ». Marie-Louise reconstitu­e ainsi une dizaine de pages dactylogra­phiées.

Fin juin 1944, Yvon et 150 détenus sont transférés vers Compiègne. Les survivants arrivent au camp de Neuengamme, en Allemagne, le 1er août. Le lendemain, Simone prend place dans le dernier convoi de déportés de Bretagne, le train Langeais. « Il a eu une histoire terrible. Il a été mitraillé par les Alliés, car les Allemands l’avaient habillé comme un train militaire. »

Parmi les 33 membres du réseau, « au moins vingt ont été déportés et douze sont morts », rapporte l’autrice. Yvon est emporté par la dysenterie en janvier 1945. Simone serait décédée du typhus à Ravensbrüc­k, en mars 1945. « Nous n’irons pas vous visiter ce soir », Anne Guerber Jézéquel, aux éditions Illador. 560 pages.

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| PHOTO : OUEST-FRANCE La famille d’Anne Guerber-Jézéquel est restée très attachée à Ty Glas. Alain, son père, est devenu maire de Lézardrieu­x en 1995.
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| PHOTO : ANNE GUERBER Simone a été déportée dans le même camp que Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Marie-José Chombart de Lauwe.
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| PHOTO : OUEST-FRANCE Yvon a mis en place un code pour transmettr­e les messages : un point, à peine visible, est tracé sous certaines lettres.

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