Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Du blé noir aux galettes, la culture du
Quasiment disparu à la fin des années 60, le sarrasin, qui doit son nom de blé noir à la teinte foncée de ses graines, connaît une renaissance en Bretagne.
De la fin du XVe jusqu’au milieu du XXe siècle, le sarrasin a joué un rôle majeur dans de nombreuses provinces françaises… et pas seulement en Bretagne, berceau des « galettes » ou « crêpes de blé noir ». Là où les sols étaient trop peu fertiles pour cultiver des céréales, les petits grains sombres ont contribué à la sécurité alimentaire des plus démunis. Quasiment disparu lors des Trente Glorieuses, le blé noir connaît depuis trois décennies une renaissance. Il faut dire que la plante présente de solides atouts en termes d’agriculture durable et de santé.
Le « blé noir » et la Bretagne : mythes et réalités
On a longtemps pensé que le sarrasin provenait de Sibérie orientale et du nord de la Chine. Mais des études récentes ont montré que son berceau se situe dans les contreforts himalayens du Yunnan, une région de Chine méridionale. Sa domestication a été initiée il y a sept mille ans, puis sa culture s’est diffusée jusqu’en Russie et en Europe du Nord et de l’Est où elle est mentionnée à la fin du XIVe siècle.
L’époque et les modalités de l’introduction du sarrasin en France ont fait l’objet de nombreuses légendes. On lit souvent que ce sont les Croisés qui, au XIIe siècle, l’auraient découvert en Terre sainte et lui auraient donné le nom de « sarrasin » en référence à la peau foncée des musulmans.
Mais la plante ne supportant pas les climats chauds et arides, elle n’était probablement pas cultivée au Proche- Orient ! Une autre version attribue son arrivée à des marins qui, au Moyen-Âge, l’auraient rapportée d’Afrique du Nord. Certains auteurs ont prétendu que ce seraient les Vikings qui, dès le IXe siècle, en auraient transporté des semences jusqu’en Armorique. Pour d’autres, le sarrasin serait parvenu sur le continent européen à la faveur des migrations mongoles du XIIIe siècle. On a dit aussi qu’au début du XVIe siècle, les Bretons auraient subi une famine meurtrière : la duchesse Anne les aurait alors exhortés à semer du blé noir, ce qui les aurait sauvés !
À Rennes, en 1497
Le premier texte français mentionnant le sarrasin date de 1460 : il signale sa culture dans le sud du Cotentin. En 1497, un autre document localise le blé noir dans la région de Rennes. Sa présence près de Quimper est attestée en 1510. À partir du XVIe siècle, la plante se diffuse dans toute la Bretagne et la Normandie. Puis elle gagne les autres provinces du royaume, s’implantant là où les terres sont trop pauvres pour produire du blé mais sont suffisamment arrosées en été. Malgré des rendements irréguliers et faibles, le sarrasin présente l’avantage de pouvoir être récolté moins de quatre mois après le semis, d’où son surnom de « plante des cent-jours ». Dans ces régions défavorisées, il est la nourriture de base et, lors des famines, l’aliment de survie. En 1550, Noël du Fail, conseiller au Parlement de Bretagne, note que « sans ce grain qui nous est venu depuis soixante ans, les gens pauvres auraient beaucoup à souffrir ».
Une légende (encore une) rapporte qu’à cette même époque Gargantua avait traversé la forêt de Huelgoat dans le Finistère. Les habitants n’ayant pu lui offrir qu’une modeste bouillie de sarrasin, le Géant vexé et furieux aurait alors jeté sur le village des centaines de rochers, créant le célèbre « chaos granitique » du lieu. Au XVIIe siècle, le sarrasin est cultivé en Auvergne et dans le Limousin, en Savoie et en Lozère, en Champagne et en Sologne, dans le Morvan, le Rouergue et l’Aquitaine. En 1862, date de son apogée, il couvre 740 000 ha au total. En Bretagne, il occupe à lui seul 40 % des terres labourables.