Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Longtemps considéré comme le « plat du pauvre »
Longtemps, le sarrasin a pâti d’une mauvaise réputation : celle d’une nourriture de paysans frustes et misérables. Au milieu du XIXe siècle, le Journal d’agriculture pratique le décrit comme une « triste culture qu’il faut abandonner aux contrées les plus pauvres, les plus arriérées ». Son statut, sur le plan symbolique, est alors très inférieur à celui du blé tendre (froment). Ce dernier donne une farine avec laquelle on peut confectionner un pain à la mie gonflée, légère et aérée. Et, surtout, un pain « blanc » : cette couleur symbolisait autrefois la pureté et la lumière divine. Rien de tel avec le sarrasin !
Un « blé noir » qui n’est pas du tout un blé
N’étant pas panifiable, c’est sous forme de bouillies, de gruaux épais et de galettes plates que le sarrasin était consommé. Mais il a joué un rôle d’aliment essentiel pour les petites gens. Lors des disettes, il leur a même évité de mourir de faim, son prix demeurant accessible lorsque celui du blé, lui, s’envolait.
Même si, en Bretagne, on l’appelle blé noir, le sarrasin (Fagopyrum esculentum) n’a rien à voir, botaniquement parlant, avec les blés. Ces derniers appartiennent au genre Triticum et à la famille des Poacées (anciennement Graminées) tandis que le sarrasin est une Polygonacée, comme l’oseille et la rhubarbe. À la différence du blé, du seigle, de l’orge, du maïs ou du riz, le sarrasin n’est pas considéré comme une céréale : cette dénomination ne s’applique qu’aux Poacées dont les grains sont consommés par l’homme. Mais parce qu’il est doté des mêmes atouts que les céréales – à savoir des graines riches en amidon et pouvant être conservées longtemps – le sarrasin a été qualifié de « pseudo- céréale ». L’appellation « blé noir » vient du fait qu’il occupait les terres trop pauvres et trop acides pour y faire pousser du blé, le qualificatif « noir » faisant référence à la couleur foncée (grise ou brune) de ses petites graines en forme de pyramide. La plante a fait l’objet de nombreuses autres appellations locales : blé brun, renouée sarrasin, blé de Barbarie, blé des Maures, bucail (ou bucaille), carabin, bouquette…
Le déclin du sarrasin commence à la fin du XIXe siècle. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la surface cultivée n’est plus que de 22 000 ha – la plupart situés en Bretagne – contre 700 000 ha un siècle plus tôt. Son image « d’aliment du pauvre » dans une France qui s’urbanisait et s’enrichissait, et où les habitudes de consommation se modifiaient rapidement, a conduit à l’abandon quasi total du blé noir.