Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Marie-Anne Lenormand, la voyante d’Alençon
Légendes et fantômes de l’Ouest. Nul n’aurait pu deviner que Marie-Anne Lenormand, jeune Alençonnaise, deviendrait la plus célèbre divinatrice de l’Histoire de France.
Née le 27 mai 1772 à Alençon (Orne), fille d’un marchand drapier et d’une jeune fille d’humble origine, MarieAnne est encore toute petite quand sa mère meurt, la laissant seule avec sa soeur, son frère et son père. Ce dernier se remarie, mais succombe peu après de la tuberculose. La fratrie demeure aux soins de la belle-mère. Lorsque celle- ci convole de nouveau, elle délègue l’éducation des trois petits Lenormand à de lointains cousins qui les placent au couvent afin qu’ils bénéficient d’une solide éducation.
À l’âge de 7 ans à peine, la petite fille montre déjà des prédispositions étonnantes. Outre son intérêt pour toutes les formes de divination, notamment les cartes, elle n’hésite pas à jouer les prophétesses, ce qui déplaît quelque peu au sein de l’assemblée des Bénédictines. Elle prédit ainsi le départ de la mère supérieure et le nom de celle qui lui succédera. Cette expérience initiale la conforte dans l’idée qu’elle peut jouer les voyantes. Un don qui lui vaudra ses premiers admirateurs mais aussi ses premiers ennuis. À terme, il provoque également son expulsion de l’école.
Marie-Anne a, à présent, 14 ans. Sans ressources, elle persuade sa belle-mère de lui donner un peu d’argent pour « monter » à Paris chercher du travail. Mais c’est là une aventure dangereuse pour une enfant. Fort heureusement, un ami de la famille lui trouve une place en apprentissage chez un libraire-relieur où elle continue, en sous-main, sa carrière de pythonisse.
Premiers pas dans la capitale
C’est là qu’elle croise la route de trois des hommes les plus influents de la Révolution : Marat, Robespierre et Saint- Just. À chacun d’eux, elle prédit une mort violente. Parmi ses clients se trouvent aussi la princesse de Lamballe, directrice de la maison de la reine Marie-Antoinette ou encore Mirabeau, le célèbre politique.
Mais, pragmatique, loin de se laisser éblouir par ces illustres fréquentations, Marie-Anne ne songe qu’à assurer son avenir dans cette époque tumultueuse. Un aristocrate amateur de jolies filles ne tarde pas à la remarquer. En d’autres temps, cela aurait pu faire sa fortune mais nous sommes alors en 1793 et il en va tout autrement. La Terreur rattrape son protecteur et la jeune femme, pour échapper à la guillotine, se réfugie dans un meublé proche du Palais-Royal.
C’est là qu’elle fait la rencontre d’une certaine Madame Gilbert, « diseuse de bonne aventure » comme on les appelle alors, qui lui enseigne les arcanes du Tarot Etteilla, un jeu divinatoire très en vogue à l’époque. Tandis que les deux femmes reçoivent leurs clients, le compagnon de Madame Gilbert se charge de distribuer au public, sous le manteau – la divination étant interdite – des prospectus vantant leurs talents.
Auprès de l’impératrice
Trois ans plus tard, elle tient un « bureau de voyance » au 5, rue de Tournon. Au- dessus de la porte, se lit l’inscription : « Mademoiselle Lenormand, libraire », une façade commode pour dissimuler sa véritable pratique.
Son commerce y prospère pendant toute la période révolutionnaire. Elle acquiert peu à peu, et via le « boucheà- oreille », une renommée considérable, en raison des noms célèbres qui commencent à se presser à sa porte, comme le diplomate Talleyrand ou le prince Metternich. C’est alors qu’elle va recevoir la visite d’une noble créole superstitieuse qui a entendu parler de ses remarquables prédictions et souhaite la consulter…
Marie-Josèphe-Rose, veuve d’Alexandre de Beauharnais, appartient alors au milieu fermé des « Merveilleuses », ces élégantes qui font les beaux jours du Directoire, nouveau gouvernement de la France. Un soir, déguisée et utilisant un faux nom, elle se rend rue de Tournon. Mademoiselle Lenormand lui fait signe de prendre une chaise puis tire un nouveau paquet de cartes de son tiroir, demande à sa visiteuse de les couper et d’en choisir plusieurs.
Puis, regardant fixement son interlocutrice, elle laisse tomber sa prédiction : « Vous êtes née sous l’influence de Vénus et de la Lune, soit en Orient, soit dans les colonies. La fleur que vous voyez ici est un vératrum, très commun en Martinique, ce qui me fait penser que vous venez de cette île. Vous l’avez quittée jeune pour vous marier. Mais désormais vous êtes veuve. »
Suivent d’autres détails. Marie- Josèphe-Rose est fascinée. Soudain, alors qu’elle s’apprête à se retirer, la consultation terminée, la devineresse lui saisit la main : « Un nouveau mariage vous élèvera au-dessus même des sphères les plus hautes de la vie sociale. Je ne connais pas votre nom, je ne connais pas votre rang, mais je connais votre avenir. Madame, souvenez-vous de moi quand vous serez plus que reine. » Marie- Josèphe-Rose deviendra, en effet, la première épouse de Napoléon Ier, qui la rebaptisera Joséphine.
Une immense fortune
Devenue la voyante attitrée de l’impératrice, Marie-Anne va connaître une longue et brillante carrière, même si l’empereur se méfie un peu de son influence sur sa femme. Tous les grands viennent la consulter, jusqu’à Fouché, le cynique ministre de la Police. Dans la rue de Tournon, défilent pratiquement toutes les célébrités de l’époque, y compris les étrangers comme Washington Irving, l’auteur de Sleepy Hollow.
À la tête d’une immense fortune, elle se retire finalement dans sa ville natale et adopte les deux enfants de sa soeur, dont elle fait ses légataires. La cartomancienne de Joséphine de Beauharnais, de Napoléon, de Bernadotte (à qui elle prédira qu’il deviendra roi de Suède) et du tsar Alexandre meurt en 1843. Elle est inhumée au cimetière du Père- Lachaise, à Paris, où sa tombe est toujours fleurie.