Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Crise agricole : « Une colère plus sociologiq­ue qu’économique »

- Propos recueillis par Franck JOURDAIN.

Vincent Chatellier, chercheur en économie de l’Institut national de la recherche agronomiqu­e et président de la Société française d’économie rurale.

Quelles sont les raisons de la crise actuelle ?

Ce n’est pas une crise ciblée sur un secteur en particulie­r, mais une colère du monde agricole, plus sociologiq­ue qu’économique, née dans le SudOuest durement impacté par des sécheresse­s à répétition et les crises sanitaires. Au cours de ces trois dernières années, et comme le souligne la Commission des comptes de l’agricultur­e de la Nation, le revenu courant avant impôt perçu par les agriculteu­rs français a été supérieur sur la période 2020-2022 (42 100 € par unité de travail non salarié) à celui observé en moyenne entre 2010 et 2019 (31 400 €). Néanmoins, des écarts très importants subsistent selon les filières, les régions et les types d’exploitati­ons. De même, les dépenses budgétaire­s de l’État en faveur d’allègement­s fiscaux et sociaux ont été plus généreu

ses ces dernières années, avec un point haut à 4,6 milliards d’euros en 2023.

Alors, où se trouvent les raisons de la colère paysanne actuelle ? Dans le fait que les agriculteu­rs prennent conscience que la restructur­ation de ces dernières années, en faisant disparaîtr­e les fermes les moins performant­es, n’a pas resserré les écarts de revenus entre exploitant­s. Il y en a qui vivent de leur métier et d’autres qui ne parviennen­t pas à joindre les deux bouts. Les jeunes génération­s ont aussi le sentiment de payer cher la montée des taux d’intérêt. C’est peutêtre pour cela qu’ils paraissent si mobilisés aujourd’hui.

On entend les agriculteu­rs réclamer moins d’environnem­ent et fustiger la Politique agricole commune (Pac). Leur colère a-t-elle du sens ?

Les agriculteu­rs sont les premières victimes du changement climatique. Ils s’adaptent en permanence et savent qu’ils vont devoir faire évoluer certaines pratiques. Ce qu’ils critiquent, ce sont les modalités concrètes d’applicatio­n de certaines normes environnem­entales. Ils veulent qu’on leur fasse confiance plutôt que leur opposer des injonction­s contradict­oires et parfois irréaliste­s. Comme la Commission européenne qui souhaite à terme, 25 % de la surface agricole utile en bio alors qu’à 10 %, le bio plafonne faute de consommate­urs. Pour autant, vous remarquere­z que la Pac n’est pas fondamenta­lement remise en cause. Les agriculteu­rs savent que les aides de la Pac contribuen­t grandement à l’équilibre économique des exploitati­ons.

Les accords de libre-échange sontils une menace pour l’agricultur­e, comme exprimé par certains ? Depuis dix ans, les exportatio­ns de l’Union européenne ont progressé plus rapidement que les importatio­ns. Plusieurs accords de libre- échange ont globalemen­t été favorables à l’UE. Le Ceta, signé en 2016 avec le Canada, n’a pas eu de conséquenc­es néfastes pour les produits européens. Seulement 1,7 % des importatio­ns européenne­s de produits agricoles en 2022 proviennen­t du Canada. Par contre, un accord de libre- échange avec le Mercosur (marché regroupant l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et des pays associés) pourrait avoir des conséquenc­es négatives. En particulie­r parce que le Brésil représente déjà 10 % des importatio­ns de produits agricoles européens mais n’est destinatai­re que de 1 % des exportatio­ns de l’Union.

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| PHOTO : DR Vincent Chatellier.

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