Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Vincennes, temple du trot et du Prix D’Amérique, est- il en sursis ?
En 2025, la mairie de Paris renouvellera la concession de l’hippodrome avec les organisateurs du Grand prix d’Amérique qui se tient aujourd’hui. Mais Le Trotteur français trouve le loyer trop élevé et menace de déménager.
Vincennes, son château, son bois… et son hippodrome. Le temple du trot. Le théâtre du 103e prix d’Amérique ce dimanche. « Le plus bel hippodrome au monde », selon le jockey Franck Nivard, recordman de l’épreuve avec cinq victoires. Quarante mille turfistes sont attendus en tribune. Défilé de la Garde républicaine et des partants, top départ à 16 h 20 : Le Trotteur français, ex- Le Trot, la société qui gère les courses de trot en France, célèbre « un événement de légende ».
L’arbre cache cependant une clairière. En semaine, hors gros événement, Vincennes se vide. On est loin des 100 000 spectateurs présents à son lancement en 1863. Loin le temps, aussi, où le public se massait sur la pelouse centrale, où les soirs de course étaient une fête jusqu’aux restaurants.
Ce 2 janvier, par exemple, Vincennes semble traîner une gueule de bois post Saint- Sylvestre. Guichets et tribunes quasi déserts. Moins de parieurs que de pros. L’année des 70 ans du Tiercé, les courses ne vivent pas leurs heures les plus fastes.
C’est dans ce contexte qu’intervient en coulisses un autre match, entre Le Trotteur français et la Ville de Paris : le renouvellement du bail de location de Vincennes. Tous les professionnels qualifient cet hippodrome de « sacré », d’« unique au monde », avec ses deux pistes en mâchefer supersoniques, sa fameuse montée, des annales longues comme une ligne droite derrière Ourasi, cheval de légende, quadruple vainqueur du prix d’Amérique. Problème : les conditions de renouvellement de la concession changent du tout au tout.
Vous avez dit augmentation ?
Pour commencer, on passe de cinquante à trente ans. D’une location originelle en anciens francs à des millions d’euros. Le loyer fait tiquer Le Trotteur français, locataire historique. D’une moyenne de 100 000 € annuels, il passe à… « un minimum de 5 millions » selon l’appel d’offres. Assortis de « 41,83 millions d’euros de travaux obligatoires ».
Le président du Trotteur français, Jean-Pierre Barjon, sort la calculette : « Cela représente un coût de plus de 300 millions pour un hippodrome dont nous ne serons même pas propriétaires au bout de trente ans », répondait-il en septembre, trois mois avant sa réélection. 300 millions, comme la valeur estimée de ce beau domaine boisé de 47 hectares accolé à la capitale.
Censé être bouclé à l’automne, l’appel d’offres a été reporté au 29 janvier – demain – du fait des élections dans la société de courses. Évidemment, l’affaire a animé la campagne. Les opposants au clan Barjon l’accusent d’avoir pris ce dossier à la légère. En attendant, l’échéance approche : fin du bail le 31 décembre 2024. Et le bras de fer se durcit entre Le Trotteur français et la mairie de Paris.
Depuis le Second Empire
Si le premier préfère attendre « la clôture des candidatures avant de répondre », qui pourrait lui faire de l’ombre ? L’appel d’offres s’adresse forcément à une société de courses. Le Trotteur français remplit toutes les cases. Un attelage FDJ – ZeTurf, les deux principaux concurrents du PMU, est parfois évoqué. Mais quel intérêt aurait la Française des Jeux à se lancer dans pareille opération ?
De son côté, la mairie de Paris reste ferme. Propriétaire du bois de Vincennes depuis le Second Empire, elle va dans le sens de la Cour régionale des comptes, qui lui reprochait, en 2017, de ne pas être assez regardante sur les conventions passées avec Le Trotteur français et des clubs souvent très « sélects » dans les bois parisiens.
L’équipe d’Anne Hidalgo affirme « souhaiter conserver l’activité hippique comme destination principale ». Un voeu assorti de diverses orientations : « Moderniser et redynamiser le site par des activités annexes et complémentaires et une ouverture plus large au grand public. » Par le passé, Vincennes a accueilli des concerts de Michael Jackson, U2, Queen…
Excessives, les nouvelles conditions ? « La Ville a souhaité revoir le montant du loyer à la hausse, afin que celui- ci soit relatif aux avantages de toute nature tirés de l’exploitation du lieu, justifie la mairie de Paris. La redevance de 2022 s’est élevée à seulement 107 000 € pour un site de 47 hectares. » À comparer avec les 8,3 millions de loyers annuels de France Galop pour les hippodromes de Longchamp et Auteuil…
Économiquement, Vincennes est un poids lourd : un tiers des recettes des principales réunions de courses, 21 % du chiffre d’affaires du PMU.
Près de 2 milliards d’enjeux annuels.
Ces nouvelles conditions ne satisfont pas Le Trotteur français. En coulisses, ça tourne même au chantage, via le spectre d’un déménagement. Un nouvel hippodrome, mais où ? Développer Enghien (Val- d’Oise) ? Au sud- est de Paris, Évry (Essonne) tiendrait la corde. Cet ancien hippodrome de galop est devenu fantôme depuis sa fermeture en 1996, puis une timide reconversion en écurie pour l’émir de Dubaï, puis un faux rachat par la Fédération française de rugby. Plutôt destiné à abriter une grande Cité des Sports, il sert désormais de lieu de tournages.
Aller à Évry ?
Évry, une menace à prendre au sérieux ? En privé, certains prêtent au président Barjon, self- made- man dans la limonade, « de rêver d’un hippodrome à son nom ».
Côté professionnels, les réactions varient. « Vu les loyers demandés, un départ est envisageable », n’élude pas Emmanuel Varin, entraîneur de la Manche. « C’est la piste qu’on ne veut pas perdre, qui fait rêver tout le monde, glisse Mathilde Colas, jeune driveuse du Calvados. On ne pourra pas la recréer. Et que deviendrait Grosbois », cette fameuse annexe à vingt minutes comptant 900 salariés ? « Je ne vois pas
comment on pourrait quitter Vincennes, pointe Jean- Pierre Viel, figure de Vincennes, dont le père, Albert, a négocié le bail de 1975. Combien coûterait de faire un autre hippodrome ? C’est une affaire politique. »
Une partie de poker menteur ? « Oui », certifie ce vétéran des courses. Une version épique et hippique de « Je t’aime… moi non plus », entre deux parties qui ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente.
Raphaël FRESNAIS.
Pays de la Loire
Un autre Sarthois, l’entraîneur JeanMichel Bazire, sera présent dans les tribunes pour la première fois depuis vingt- cinq ans. Lauréat l’an dernier, il
Bretagne
Hussard du Landret est entraîné en Mayenne mais c’est un Breton qui l’a vu naître : Jean Daniel, 74 ans, est éleveur depuis quarante ans au Landret, à Plélan- le- Grand ( Ille- et-Vilaine). Il aura la joie de vivre son deuxième prix d’Amérique avec ce mâle de 7 ans.