Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Il porte la voix des Ouïghours contre la Chine
Dolkun Isa, de passage à Paris, a dénoncé les méthodes du régime chinois pour étouffer le combat de son peuple. Président du Congrès mondial des Ouïghours, il défend leur droit à exister.
Un parcours du combattant. C’est ce que vit, depuis 1994, Dolkun Isa. À l’époque, il n’a que 25 ans et dirige le mouvement étudiant pro démocratie, à Urumqi, la capitale du Xinjiang. Cette province reculée du grand ouest chinois est peuplée majoritairement d’Ouïghours, musulmans et turcophones. Ils préfèrent l’appeler le « Turkestan oriental », du nom de cette république éphémère, surgie en 1933 puis en 1944. Abolie par le régime communiste en 1949.
« Depuis lors, la répression n’a jamais cessé », nous explique Dolkun Isa, de passage à Paris. Camp d’internement, interdiction de la pratique musulmane, destruction de mosquées, transfert de population. « Soixante- quinze ans plus tard, les Ouïghours ne représentent plus que 10 % de la population dans notre principale ville, Urumqi, peuplée de plus de 4 millions d’habitants. »
L’oeil de Pékin partout
Réfugié en Turquie, puis en Allemagne à partir de 1996, Dolkun Isa mène le combat pour les droits de son peuple. Il dirige, depuis 2017, le Congrès mondial ouïghour. La diaspora serait estimée à environ un million de personnes, réparties entre l’Asie centrale, la Turquie, l’Europe et l’Amérique du Nord.
« Nous demandons deux choses fondamentales dans un premier temps. La fermeture des camps de concentration organisés par le régime chinois et la fin de la politique de sinisation systématique. » Deux revendications longtemps restées dans les limbes, tellement la reconnaissance de la cause ouïghoure a pris du temps. Il a fallu documenter, sensibiliser, mobiliser. « Pas facile, face à un régime chinois qui a dépensé énormément d’argent, au sein des Nations unies comme dans les pays de la diaspora, pour étendre son contrôle. »
Dans un livre qui vient de sortir, Le piège chinois (1), Dolkun Isa raconte
ce combat contre la stratégie du parti communiste chinois « d’éradiquer, partout, la cause ouïghoure ». Les moyens de coercition exercés à l’étranger par le régime de Xi Jinping ont défrayé la chronique lorsque le réseau de postes de police clandestins a été révélé il y a deux ans « dans 115 villes et quelque 60 pays ».
« La méthode ne vaut pas seulement pour les Ouïghours mais, pour nous, elle est fatale. En surveillant les Chinois de la diaspora, le régime est en mesure de faire taire toute opposition. Si un citoyen qui réside en Europe critique le pouvoir, vous pouvez être sûr que les mesures de rétorsion contre sa famille au Turkestan ou ailleurs sont immédiates. Des personnes sont internées, sans autre procès, en représailles. »
Dolkun Isa parle en connaissance de cause. Depuis sept ans, depuis que le régime a durci sa politique, il est sans nouvelles directes de sa famille. « J’ai appris, trois semaines après son décès, la disparition de ma propre mère. Et pour mon père, cela avait été pareil il y a quelques années. » Les informations circulent clandestinement, par des amis d’amis. « Ou des rencontres fortuites, comme cela m’est arrivé dans un grand pays asiatique. »
Réfugié à Munich, Dolkun Isa a longtemps pensé que la loi allemande lui servirait de protection fiable. C’était sans compter sur les leviers de l’influence chinoise. En 1999, « j’ai découvert que j’étais recherché par Interpol déjà depuis deux ans ». Motif ? Meurtre, activités criminelles, vol, etc. La « notice rouge » élaborée par Interpol, sur suggestion chinoise, le qualifiait de « terroriste ». Intercepté à son arrivée sur le sol américain, il demande à quand remonterait le crime dont il est accusé ? À 1996, lui répond le douanier. « Mais j’étais déjà en Allemagne… »
Crimes contre l’humanité
Le noyautage d’Interpol est à l’image de l’activisme diplomatique tous azimuts déployé par Pékin, notamment aux Nations unies. Il a fallu attendre septembre 2022 pour qu’un rapport de l’Onu sur la répression en cours dans la région du Xinjiang soit publié. Il évoque de possibles « crimes contre l’humanité », sans employer le mot de « génocide », alors qu’une dizaine de Parlements et de gouvernements ont reconnu que le risque existait.
À ce jour, aucun ministre français n’a reçu Dolkun Isa. « En 2021, un directeur du Quai d’Orsay m’a reçu, et j’ai pu voir aussi des élus », nous dit-il. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, ou l’Américain Mike Pompeo, alors secrétaire d’État, ont pris moins de précautions. « Il est vrai que pour les Américains, c’est aussi une carte dans leur jeu face à Pékin », explique un proche du leader.
Que pourrait faire la France de plus ? « En raison de votre histoire, vous avez une responsabilité particulière. Il faut bien mesurer que ce qui est en cause, ce n’est pas seulement la liberté des Ouïghours, c’est la démocratie en tant que telle, nous explique Dolkun Isa. Surtout avec les méthodes de corruption et de répression globale déployées par le Parti communiste chinois. »