Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« On est sur un fil » : quand les écrans

Dessins animés, séries, jeux vidéo, réseaux sociaux… La question de l’utilisatio­n des écrans est devenue centrale dans l’éducation des enfants, quel que soit leur âge. Les parents, eux, cherchent parfois leur voie.

- Arnaud FOCRAUD.

Parfois, les relations familiales déraillent pour de simples écrans. La situation s’est embrasée chez Sofia, qui vit seule à Rennes avec Matteo (1), son adolescent de 15 ans.

« Il est souvent scotché à ses jeux vidéo et son ordinateur dans sa chambre. On s’est beaucoup disputés à ce sujet », confie-t- elle. Leur conflit a culminé au printemps dernier : sans solution face à son fils qui faisait ce qu’il voulait avec « son » ordi, elle avait décidé de couper le wifi dans la maison.

« Cela a dû mettre fin à une partie en cours, il est entré dans une colère noire, raconte la mère de famille. Il a envoyé voler une partie de ses affaires, a tapé sur sa porte, puis a fini par s’enfermer dans sa chambre jusqu’au lendemain matin, sans manger ni faire sa toilette. »

Aujourd’hui, les choses se sont apaisées mais c’est aussi, reconnaît la quadragéna­ire, parce qu’elle a lâché du lest. « On est toujours sur un fil. C’est terrible à dire, mais je préfère presque ne pas savoir ce qu’il fait exactement. » Une stratégie des oeillères qui ne règle rien, admet- elle, à part amener un peu plus de calme dans leurs relations.

Combien de familles ont- elles été confrontée­s un jour à des disputes liées aux écrans ? Et combien de parents se retrouvent-ils face à leurs interrogat­ions ? En France, 29 % des enfants âgés entre 7 et 10 ans affirment avoir leur propre smartphone, selon une étude du cabinet Junior City dévoilée en mai (2). Par rapport à 2021, qui avait vu une forte progressio­n du taux d’équipement chez les plus jeunes dans le contexte du Covid-19, le chiffre serait stable chez les seuls 9-10 ans et même à la baisse chez les 7- 8 ans.

Mais l’exposition aux écrans est un sujet qui touche dès le plus jeune âge.

Selon ce même cabinet, près d’un enfant sur deux âgé de 3 à 8 ans (45 %) utiliserai­t le portable d’un de ses parents (3).

« On peut leur faire voir sur le téléphone les photos et les vidéos qu’on prend quand on passe du temps ensemble, reconnaiss­ent sans problème Augustin et Rachel, parents de deux garçons de bientôt 3 et 6 ans. Pour les dessins animés, c’est plutôt à la télé. On essaye de ne pas faire plus de trente minutes par jour », poursuit le couple qui réside près de La Rochelle (Charente-Maritime).

Malgré cela, les deux conjoints disent vouloir coller à l’esprit de la règle des « 3- 6-9-12 » pensée par le psychiatre Serge Tisseron et promue dans les cabinets de pédiatrie : pas d’écran avant trois ans, pas de jeu sur écran avant six ans, pas d’Internet avant neuf ans et pas de réseaux sociaux avant douze ans.

Auprès de Ouest-France, Serge Tisseron (lire ci- contre) insiste sur le fait que le seul critère du temps d’écran n’aide pas à appréhende­r l’ensemble du phénomène. « Le problème n’est pas le temps d’écran en lui-même, mais quels écrans, pour quoi faire et avec quel accompagne­ment derrière ? » développe le docteur en psychologi­e.

Et si la recherche scientifiq­ue a évolué, les jeunes parents d’aujourd’hui ne sont pas non plus les mêmes qu’avant. « Il y a une meilleure appréhensi­on du sujet en général par les parents, plus instruits sur la question que ne l’étaient les leurs », confirme Anne Peymirat, coach parentale et autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet (Débranchez vos enfants ! en 2017 chez First, Le syndrome du Wonder Parent en 2023 chez Payot). Avant d’ajouter : « Mais la mise en oeuvre reste toujours un sujet compliqué. » Cette spécialist­e observe, avec les parents et les enfants qu’elle reçoit, les « tensions répétées » que suscite la question des écrans et qui « pèsent sur les relations intrafamil­iales ».

La nature des conflits peut être différente selon l’âge de l’enfant, « mais il n’y a pas un âge où c’est plus facile ou plus difficile qu’un autre », précise encore Anne Peymirat. Chez Hélène et Pierrick, installés en Seine- et- Marne, la vie familiale semble plus douce avec leurs trois enfants de 13, 10 et 5 ans. « On a décidé de faire confiance et de ne rien interdire, revendique­nt-ils. Les deux grands ont leur téléphone, surtout pour faire des jeux, et on veille à ce que leur temps d’écran ne s’éternise pas trop. »

Près d’un enfant sur deux utilise le portable d’un parent

Chantage et boîte de chocolats

La famille de région parisienne concède toutefois une forme de défaite : « Nous avions pour principe de ne jamais faire de chantage. Mais la réalité nous a vite rattrapés : oui, des fois, pour obtenir quelque chose rapidement, nous mettons un jeu ou un épisode dans la balance des récompense­s. »

Comment faire au mieux ? Anne Peymirat liste déjà les choses qui ne fonctionne­nt pas. « Il ne faut pas parler de confiance quand on parle d’écrans, cela n’a pas lieu d’être, affirme la coach parentale, à la tête de son propre cabinet. C’est comme laisser une boîte de chocolats ouverte au milieu de la table toute une journée en pensant que personne ne va y toucher. »

L’autre point décisif, selon elle, est de fixer des « règles claires et s’y tenir ». « On ne peut pas être dans la demi-mesure avec les écrans, dans une demande un peu vague : « estce que tu pourrais… » ou « il faudrait que… ». Cela ne marche pas », insiste- t- elle.

Mais d’abord, il faut trouver le bon équilibre. Vincent, 37 ans, s’est posé beaucoup de questions à mesure que grandissai­t Emma, sa fille unique de 8 ans. À quel âge lui offrir à son premier téléphone ? Le développeu­r parisien a tranché pour sa rentrée en CE2, en septembre. « L’idée de départ était d’attendre classiquem­ent le collège, précise Vincent. Mais c’était davantage une sécurité pour moi de

Une source de tension pour les familles

la joindre, au cas où. Elle commence à faire le trajet entre mon domicile et l’école, même s’il n’y a que 200 mètres. »

Le téléphone d’Emma, pour l’instant, ne sert « qu’à » téléphoner. Pas d’Internet et donc pas de risque pour son père que la jeune fille soit exposée à des contenus inappropri­és. « Pour le coup, là on verra plus tard. Mais je ne veux pas et ne pourrai pas tout lui interdire, je pense que ce sera important pour elle dans quelques années de communique­r avec ses copains. » (1) Ces prénoms ont été changés.

(2) Étude barométriq­ue annuelle JuniorCity (vague d’avril 2023) réalisée auprès de 750 familles représenta­tives, avec enfants de 4 à 14 ans.

(3) Étude JuniorCity Le new deal média chez les 3-18 ans (avril 2023), réalisée auprès de 1 400 enfantsado­s âgés de 3 à 18 ans et leurs parents.

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| PHOTO : GETTY IMAGES/ ISTOCKPHOT­O Près d’un enfant sur deux âgé de 3 à 8 ans utiliserai­t le portable de l’un de ses parents (photo d'illustrati­on).
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| PHOTO : GETTY IMAGES/ ISTOCKPHOT­O L’exposition aux écrans est un sujet qui touche dès le plus jeune âge.
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La question des écrans est devenue centrale dans

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