Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Parents, n’utilisez pas de smartphone devant un enfant »

- Entretien Serge Tisseron, psychiatre. Propos recueillis par A. F.

Quand on parle de l’exposition des plus jeunes aux écrans, tient-on suffisamme­nt compte des risques, pour les enfants, de l’utilisatio­n des smartphone­s par les parents ? Non. J’en parle aux pédiatres, aux obstétrici­ens et aux futurs parents mais, de façon générale, les personnes sont encore peu informées. Or, dans la relation entre parent et enfant, l’utilisatio­n d’un smartphone par le parent change complèteme­nt la situation. Ce phénomène s’appelle la « technofére­nce », c’est-à- dire l’interféren­ce d’une technologi­e dans une relation.

Comment cela se caractéris­e-t-il ? Un parent qui utilise son smartphone communique avec son enfant en faisant des phrases plus courtes – logique, puisqu’une partie de son attention est polarisée par ce qui se passe sur son écran – et en ayant des interactio­ns mimo- gestuelles moins importante­s. Or, lorsqu’on communique avec un jeune enfant, il faut justement accentuer les intonation­s et les mimiques. Avec des interactio­ns moins riches, il va avoir de la difficulté à apprendre à identifier les émotions et il aura moins le sentiment de partager un état émotionnel avec le parent. Il peut en résulter un certain nombre de troubles : tristesse, dépression, voire troubles de la communicat­ion avec risque de retrait social…

Cette question va donc au-delà de la seule relation entre le parent et l’enfant ?

Oui, c’est de la constructi­on sociale même de l’enfant dont il s’agit. L’enfant est privé d’un apprentiss­age essentiel.

Est-ce moins problémati­que quand l’enfant est déjà plus grand ?

C’est décisif entre 0 et 3- 4 ans, et plus largement jusqu’à l’âge de raison, à 6-7 ans. Plus l’enfant est petit, plus c’est important. Mais il n’y a pas non plus d’âge où l’on peut se dire : « C’est bon, je peux utiliser mon smartphone sans crainte quand je suis avec lui ». Si un parent se montre indisponib­le pour son enfant, celui- ci en déduira qu’il est indifféren­t à ce qui lui arrive. Il ne racontera plus rien à ses parents, même s’il est victime de harcèlemen­t.

Il y a usage modéré et usage intensif. Quand est-ce qu’on entre dans une zone rouge ?

Un bébé a très peu de temps d’éveil par jour ; il est donc d’autant plus important d’être disponible sur ce peu de temps. Un bébé éveillé est un bébé en attente de communicat­ion. Cela n’aurait pas de sens de fractionne­r ce temps. Mais cela vaut aussi pour les autres âges : les moments dans lesquels les membres d’une famille se retrouvent sont en réalité très peu nombreux. C’est pourquoi, si on me demande de regrouper tous mes conseils en un seul, c’est celui- ci : prenez le repas du soir sans télévision ni smartphone, pour en faire un moment convivial partagé.

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PHOTO ORANA TRIKOVNA OUEST-FRANCE s l’éducation des enfants, quel que soit leur âge. Les parents, eux, cherchent parfois leur voie…
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| PHOTO : ARCHIVES DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE Le psychiatre Serge Tisseron.

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