Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Les écoles, « priorité des priorités »
Notre enquête. Les « Tradis » construisent et entretiennent à grands frais des établissements scolaires pour former « des hommes et des femmes solides », capables d’assurer la pérennité de leur oeuvre.
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« L’oeuvre des écoles vraiment catholiques est primordiale pour l’avenir de la chrétienté. » Dans une lettre adressée le 29 juin 2023 « aux amis et bienfaiteurs » de la Fraternité sacerdotale Saint- Pie X (FSSPX), l’abbé Benoît de Jorda, supérieur du district de France, lance un signal d’alarme : « À quoi bon construire à grands frais des églises, si demain elles se trouvaient vides, faute de paroissiens… C’est principalement de l’école catholique que nous pourrons espérer les pères et mères de famille de demain, les laïcs et militants de demain, et plus simplement encore les fidèles de demain… »
Pour le courant traditionaliste breton, l’école est donc devenue la priorité des priorités. « C’est même une question de survie à moyenne échéance », précise, à son tour, ce fonctionnaire du Rectorat de Rennes. Pourtant, un réseau d’écoles privées « tradis » très dense existe déjà. En Bretagne et en Loire-Atlantique, on recense quinze établissements qui, de la maternelle au secondaire, regroupent quelque 1 700 élèves (voir notre carte) encadrés par une cinquantaine d’enseignants laïcs ou religieux.
À ces 1 700 élèves, il faut rajouter les quelque 300 enfants instruits dans leur famille et qui suivent les cours par correspondance proposés par le CEFOP (basé à Villegenon, dans le Cher) ou les Soeurs de la Fraternité sacerdotale Saint- Pie X (Catéchisme par correspondance).
Toutes ces écoles privées sont hors contrat. En clair : elles ne dépendent pas de l’État. Ni financièrement, ni pédagogiquement. Et restent très souvent hors des radars du Rectorat. « Aujourd’hui, en France, nous avons un État qui devient de plus en plus policier, estime un parent d’élève de l’école Notre-Dame Auxiliatrice, de Betton ( Ille- et-Vilaine). Il faut savoir réagir et prendre en main l’éducation de ses enfants. » La charte des écoles tenues par la FSSPX est également très claire : dans son troisième point, elle stipule que ces écoles « veulent être vraiment libres de toutes entraves idéologiques ou financières. C’est d’elles que sortiront les vocations et les foyers chrétiens, fondements de la société. »
« Plaie d’argent n’est pas mortelle », se plaît à rappeler l’abbé Benoît de Jorda. Il n’empêche : pour les « tradis » aussi, l’argent est le nerf de la guerre. « La générosité des bienfaiteurs a permis l’achat de nombreux bâtiments », note le supérieur du district de France de la FSSPX, dans sa lettre de juin 2023. Il cite notamment l’exemple de l’école Saint- Martin de Château-Thébaud (Loire-Atlantique).
Cette ancienne maison de retraite et son parc de 11 ha ont été rachetés 1,4 million d’euros au… CHU de Nantes par l’association Louis- Martin, proche de la FSSPX. Transformé en école, ce site, idéalement situé au milieu du vignoble, accueille aujourd’hui quelque 230 élèves venant de tout l’Ouest.
Acheter est une chose. Entretenir les locaux et rémunérer les enseignants en est une autre. Chaque établissement est financièrement indépendant. Et bien souvent, la rétribution versée par les parents (entre 80 € et 300 € par mois en moyenne, selon le niveau scolaire) ne suffit pas. De nouvelles normes d’accessibilité et de sécurité sont venues plomber les budgets déjà au taquet. Et l’augmentation du prix de l’électricité, du gaz et du fuel n’arrange rien.
« La liberté pédagogique a un
coût, sourit ce prêtre de la Fraternité Saint- Pierre (ralliée à l’Église officielle). Dans les établissements privés hors contrat, le montant des scolarités représente en moyenne de 35 à 40 % du budget total. Il faut donc compter sur les dons ou sur l’organisation de kermesses ou de marchés de Noël. Cela marche plutôt bien : à ma connaissance, aucun établissement breton n’a mis la clé sous la porte ces dernières années. »
Autre particularité de l’enseignement privé hors contrat : la totale liberté du choix des enseignants (sous réserve des diplômes requis), des méthodes pédagogiques, des
matières enseignées et des manuels scolaires. Les règles sont strictes. Dans pratiquement toutes les écoles, la mixité est interdite à partir du secondaire « pour bien accompagner chaque garçon et chaque fille dans les étapes de leur développement physique, intellectuel et affectif ».
L’uniforme est de rigueur. À l’école Sainte-Philomène de Saint- Grégoire (Ille- et-Vilaine), les jeunes filles doivent, par exemple, porter « une chemise blanche ou bleu ciel, une robe bleue de longueur convenable (minimum au genou), pas de bijoux, de maquillage, pas de chaussure de sport, ni de chaussures à talon. »
À chaque rentrée, les nouveaux élèves de l’école Saint- Martin de Château-Thébaud (Loire-Atlantique) – dont la devise est « Honneur et discipline » – reçoivent lors d’une cérémonie quasi militaire dans la cour d’honneur de l’école, une cravate remise par un aîné : « Reçois la cravate de Saint- Martin. Rouge symbole de charité et de courage qui te rappelle le manteau de Saint-Martin. Beige symbole d’humilité et de persévérance. »
D’autres règles, « qui contribuent à bâtir des hommes et des femmes solides, enracinés dans la religion, loin des idéologies destructrices », sont édictées sur les sites internet de ces établissements. Exemples piochés au hasard : durant les récréations, « le vague à l’âme » est interdit : tout élève doit pratiquer une activité sportive. Les appareils électroniques, les livres personnels (sauf autorisation) et les journaux sont proscrits. « À notre époque, de tels règlements peuvent sembler venir du fond des âges, mais nous les assumons, insiste un prêtre de la Fraternité SaintPie X. Cette discipline assumée explique le succès de nos établissements. »
L’argent, nerf de la guerre
« Des hommes et des femmes solides »