Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Au pays de la crème, un délice au trio
Aujourd’hui, la crème, produit emblématique de la Normandie, est un ingrédient présent dans un grand nombre de recettes, mais elle n’a pas toujours eu ce succès.
Terre de bocages et de verts pâturages s’étendant à perte de vue, la Normandie est sans conteste le pays de la crème. Douceur des températures et régularité des pluies, richesse des sols, influence des vents marins… tous ces facteurs favorisent la pousse d’une herbe que, plus de sept mois par an, les vaches laitières pâturent et transforment en lait. Très riche en matières grasses, ce dernier est à l’origine d’un prestigieux produit, la crème, dont l’excellence est depuis longtemps reconnue.
Une consommation à la Préhistoire
Autrefois, l’obtention de la crème était le résultat d’un processus naturel : il suffisait (en étant patient) de laisser reposer le lait. Plus légères que les autres constituants, les gouttelettes de lipides remontaient d’elles- mêmes à la surface du récipient, formant une épaisse couche crémeuse. Le caractère spontané de la formation de la crème laisse supposer que nos lointains ancêtres de la Préhistoire en ont mangé pour la première fois il y a 10 000 ans environ. C’est en effet à cette époque que des petits groupes d’humains vivant au Proche- Orient ont décidé de domestiquer aurochs, chèvres sauvages et mouflons, et ont commencé à soutirer le lait des femelles.
On sait avec certitude que les toutes premières civilisations de l’Antiquité – celles de la Mésopotamie et de l’Égypte ancienne – recueillaient déjà la crème. Non pour elles-mêmes mais pour en faire du beurre. Ce sera aussi le cas en France jusqu’à la fin du Moyen Âge : lorsqu’elle est extraite du lait, la matière grasse sert à fabriquer du beurre. Celui- ci est d’ailleurs très peu consommé, sauf par les paysans de certaines régions d’élevage bovin comme les Flandres, la Bretagne et la Normandie. De leur côté, les élites aristocratiques méprisent les laitages (à l’exception de quelques fromages réputés) : à leurs yeux, le lait est avant tout l’aliment de l’enfant et du paysan, et son caractère populaire ne peut convenir à leur statut social de « puissant ».
Cette perception négative commence à changer à partir de la fin du XVe siècle. Lors de cette période de transition vers la Renaissance, la cuisine aristocratique évolue… Un des changements majeurs est précisément l’introduction du beurre et, dans une moindre mesure, de la crème. Celle- ci est utilisée dans les sauces et dans quelques recettes comme la morue à la crème.
Un aliment incontournable depuis le XIXe siècle
Au cours du règne de Louis XIV, son usage se répand dans les cuisines royales de Versailles puis dans celles de la noblesse des provinces. Outre la confection de sauces, on l’emploie pour préparer farces et omelettes auxquelles elle apporte du moelleux. Elle entre aussi dans la préparation de desserts variés comme, par exemple, les glaces à la chantilly qui font fureur au café parisien Procope.
La crème triomphe définitivement au début du XIXe siècle, et elle le doit en grande partie à Antonin Carême. Le « roi des cuisiniers et cuisiniers des rois » en fait l’ingrédient essentiel de ses sauces ainsi que de ses somptueuses pièces montées, charlottes et autres entremets. La crème lui permet de révéler et de sublimer les arômes et les goûts, d’améliorer l’aspect et la texture de ses créations, de les rendre plus onctueuses et d’accroître leur fondant. La crème devient alors une caractéristique emblématique de la cuisine bourgeoise ainsi que des régions d’herbage comme… la Normandie. En 1879, une invention suédoise rend l’ingrédient encore plus accessible : celle de l’écrémeuse centrifugeuse, qui permet d’accélérer la formation de crème et d’accroître les quantités recueillies.