Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Quimper, terre de saints, griffons et korrigans

Légendes et fantômes de l’Ouest. À Quimper, mythes et récits historique­s se confondent. D’ailleurs, la vie de saint Corentin attribue la fondation de la ville au légendaire roi Gradlon…

- Françoise SURCOUF.

La légende place la genèse de la ville de Quimper (Finistère) entre les mains du roi Gradlon. Le monarque, ayant fui sa légendaire ville d’Ys submergée par les eaux, aborde un jour les rives du fleuve de l’Odet. Là, soucieux de son salut et de celui de sa défunte fille, Ahès – disparue avec la grande cité engloutie – il fait don de son château situé au confluent de l’Odet et du Steïr à l’ermite Corentin, afin qu’il y édifie une cathédrale.

Rapidement, une vaste cité se construit autour de l’édifice. Une position géographiq­ue qui donnera son nom à la ville : Kemper signifiant « confluent » en breton. Depuis, dans la future capitale de la Cornouaill­e, les rues et les alentours recèlent bien des légendes et des secrets…

Un lieu de mets magiques

La légende raconte que le roi Gradlon et saint Corentin – l’un des sept à avoir évangélisé la Bretagne – se rencontrèr­ent un jour, alors que le roi chassait dans la forêt près de la commune de Plomodiern, où s’était établi le futur évêque de Quimper.

Gradlon s’égara, errant plusieurs jours et parvint, mort de soif et de faim, devant la maison de l’ermite Corentin. Afin de le rassasier, ce dernier lui offrit un morceau de poisson : mais pas n’importe lequel. Un animal magique qu’il pêchait chaque jour et mangeait, avant de le remettre à l’eau… où il se reconstitu­ait et reprenait vie.

À quelques kilomètres, c’est saint Alar – proche successeur de saint Corentin – qui élit domicile dans la fameuse forêt du Stangala (de stang, « étang », Alar). Non loin de son ermitage, on aperçoit encore une fontaine dont l’eau possède, dit- on, l’étonnante capacité de se changer en vin, une heure durant, une fois tous les cent ans.

Le dragon du Stangala

Le Stangala fut aussi le cadre d’un combat épique et exceptionn­el. Sous le règne du comte Hoël, vivait à Cuzon – un petit hameau proche de Quimper – un jeune homme noble

mais pauvre : Mahonec. À quelques lieues, résidait un puissant seigneur qui avait une fille, Rose, très belle, dont le jeune garçon était désespérém­ent amoureux.

De fait, une aussi riche héritière ne pouvait épouser un sans-le-sou. Or, il advint qu’une créature légendaire – un griffon – venu d’on ne sait où, fit son repère des gorges du Stangala. La bête, perchée sur un éperon granitique qui se nomme à présent le Grifonnez, guettait sa proie. Pour la bête, tout était bon mais, lorsqu’elle eut goûté à la chair humaine, elle ne voulut plus d’autre nourriture.

Pour l’empêcher de dépeupler le pays, les habitants conclurent avec elle un pacte : chaque mois, on lui livrerait une jeune fille choisie au hasard. Un soir, Mahonec apprit que sa belle avait été désignée pour le sacrifice et serait livrée au monstre le lendemain. Il passa la nuit à aiguiser son épée et à tailler les extrémités d’un piquet de chêne.

Le jour suivant, à la première heure, il courut au Stangala et, parvenu près de l’antre du fauve, lui lança des pierres afin d’attirer son attention. La bête, furieuse, se rua sur lui, la gueule grande ouverte. Mahonec enfonça alors brusquemen­t entre les mâchoires béantes du griffon le pieu taillé, empêchant la terrible gueule de se refermer. Puis, il lui trancha la tête, coupa sa langue verte et regagna sa maison sans que nul ne se doute de son héroïque fait d’armes.

Mais un voisin, qui aimait aussi la jeune fille, profita de ce silence pour affirmer que lui-même avait tué le griffon du Stangala. Le félon allait épouser Rose quand Mahonec survint et l’admonesta, d’une voix vibrante : « Monsieur, vous êtes un menteur. Ce n’est pas vous, c’est moi qui ai tué la bête. D’ailleurs puisque vous l’avez vue de si près, dites-moi de quelle couleur était sa langue ? » Le voisin demeura silencieux. « Verte comme la mousse ! » répliqua Mahonec, en la sortant de son havresac. Le traître fut aussitôt arrêté et le héros put enfin épouser la belle Rose.

Les Korrigans de Coatbily

Au temps où le quartier de Kerfeunten – ancienne commune, depuis annexée à Quimper – était un simple village, il existait, près du manoir de Coatbily, un dolmen qui servait d’abri aux korrigans et ce, pour le plus grand déplaisir des habitants du voisinage. Les malicieuse­s créatures avaient en effet la fâcheuse habitude de se glisser chaque nuit dans la demeure seigneuria­le pour s’y livrer à un boucan de tous les diables.

Courant de la cave au grenier, ils n’hésitaient pas à s’attaquer aux hôtes eux-mêmes, gratifiant leurs parties charnues de tapes retentissa­ntes ponctuées de petits cris et de gloussemen­ts de jubilation. À la cuisine, vaisselle et meubles étaient lancés au travers de la pièce.

Pourtant, au lever du jour, tout avait repris sa place habituelle, sans trace aucune du carnage de la nuit. Mais, le soir suivant, les lutins reprenaien­t leurs rondes folles, chantonnan­t en breton : « Rions, sautons, chantons, dansons, du crépuscule à l’aube claire. Mais tout ce que nous défaisons, hélas ! Il nous faut le refaire. »

Exaspéré, le seigneur de Coatbily décida de consulter Nolwenn, la « groac’h » (sorcière), qui passait pour la femme la plus avisée du village. Il lui narra ses malheurs. La vieille femme réfléchit puis dit : « Ce soir, laissez ouverte une des lucarnes du grenier et posez sur l’appui un sac ouvert, rempli de plumes. Attachez-y une corde qui traînera jusqu’au pied de la muraille. Les Korrigans voudront user de cette aubaine pour entrer. Ils y grimperont et leur poids fera chuter le sac dont le contenu sera emporté par le vent. Comme ils le disent dans leur chanson, les lutins sont obligés de remettre en place ce qu’ils ont dérangé. Ils ne parviendro­nt jamais à retrouver toutes les plumes et, couverts de honte, ils éviteront désormais votre maison. »

Ainsi fut fait et, depuis, le manoir de Coatbily n’a plus jamais reçu la visite des Korrigans.

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PHOTO ARCHIVES OUEST-FRANCE. La ville de Quimper.
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| PHOTO : DESSIN ANONYME Une représenta­tion du griffon, affamé de chair humaine.

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