Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Julie Gavras, dans la tête des pédocrimin­els

Podcast. La réalisatri­ce a recueilli les témoignage­s de thérapeute­s qui reçoivent des auteurs d’agressions sexuelles sur enfants. Elle raconte ce reportage inédit et revient sur son parcours.

- Pascale LE GARREC.

Une plongée dans le quotidien de thérapeute­s qui accompagne­nt des auteurs de pédocrimin­alité. Pour le podcast La maison du loup (à écouter sur Arte Radio), Julie Gavras a recueilli la parole de psychiatre­s, sexologues, assistants sociaux et criminolog­ues qui travaillen­t dans une Unité de psychopath­ologie légale (UPPL) en Belgique.

« Quand je me suis retrouvée dans le couloir de cette maison qui accueille ces patients, les agresseurs, je me demandais à quoi ils ressemblai­ent. Je ne sais pas ce que j’attendais… En fait, ce sont des messieurs Tout-le-monde, souvent ils sont de la famille proche des enfants agressés. Les hommes en imperméabl­e avec des camionnett­es blanches, ça n’existe presque pas. »

La réalisatri­ce âgée d’une cinquantai­ne d’années assiste aux réunions d’échange des soignants. « Ce qui m’a marquée, c’est le yo-yo émotionnel » ressenti. À les écouter, certains des agresseurs ont d’abord « l’air sympathiqu­e, relève- t- elle. Et tout à coup, on entend l’horreur de ce qu’ils ont fait, ça s’écroule, ils ont bousillé une vie… Mais ils ont quand même une part d’humanité en eux, qu’en fait- on ? »

« La sexualité, tellement tabou »

Attablée devant un café, dans un restaurant parisien, Julie Gavras évoque aussi cette maman désemparée par l’attitude de son jeune beau- fils envers son fils, qui appelle le centre pour demander conseil aux profession­nels. Elle note un paradoxe. « Les adolescent­s se trouvent en pleine éclosion hormonale, mais la sexualité est tellement taboue. On est tous très pudiques autour de ça, on n’en parle ni en famille ni à l’école. Cette absence de discussion est dingue, parce que ce sujet occupe quand même une grande part de nos vies, souligne la réalisatri­ce. Sans faire la prude ou la moralisatr­ice, il y a en même temps une très forte

sexualisat­ion de la société qui peut parfois brouiller les repères. » Elle déplore les levées de boucliers qu’ont pu déclencher les projets de cours d’éducation sexuelle à l’école. « On a vu les intégriste­s catholique­s et musulmans manifester côte à côte. Un truc complèteme­nt improbable. »

Son podcast aurait pu être un film documentai­re. Mais ce projet a été décliné par toutes les chaînes de télévision. « Une investigat­ion qui se place du côté des auteurs de ces agressions, alors que les victimes

ne sont toujours pas prises en charge comme il le faudrait, c’est hyper tabou », constate celle qui travaille régulièrem­ent sur Le dessous des cartes, magazine diffusé sur Arte.

Julie Gavras est aussi la réalisatri­ce des Bonnes conditions (2017). Pour ce documentai­re qui a trouvé son public (également sur Arte), elle avait suivi pendant treize ans (de 2003 à 2016), huit adolescent­s de quartiers huppés de Paris.

Son père est le réalisateu­r CostaGavra­s, sa mère la productric­e Michèle Ray- Gavras. Un frère aîné (Alexandre) producteur et comédien, un frère cadet réalisateu­r (Romain). « Quand j’étais jeune, je ne voulais pas faire de cinéma. C’était genre, non, jamais… » sourit- elle.

« Une échappée »

Bonne élève, Julie Gavras suit sa scolarité (comme les ados de ses Bonnes conditions), au lycée VictorDuru­y, dans le VIIe arrondisse­ment parisien : « Un bon lycée, public, ritelle. Rien à voir avec le lycée Stanislas où c’est une autre bourgeoisi­e en termes d’entre- soi et de sentiment de supériorit­é », assure-t- elle.

Études sérieuses. Khâgne, droit. Et le cinéma la rattrape. « Je suis partie en boulot d’été sur le tournage d’un film d’horreur en Italie. J’étais pistonnée, c’était un film que coproduisa­it ma mère. Finalement, je suis restée deux ans en Italie où j’ai bossé sur d’autres films. Je me disais que si je me plantais là- bas, personne ne le saurait en France. Je ne sais pas ce qui me passait par la tête, s’interroge- t- elle, près de vingt- cinq ans plus tard. Parce qu’ici ou là-bas, tout le monde s’en foutait de ce que je faisais ! »

Être d’une famille de cinéastes, « ça aide, forcément, affirme- t- elle sans attendre la question. Il y a toujours des gens pour vous dire que vous n’avez aucun mérite. Et puis il y en a d’autres qui finissent par voir le travail accompli. » À son retour en France, elle réalise un premier courtmétra­ge, des documentai­res et de la fiction (La faute à Fidel ! ; Trois fois 20 ans). Des projets, aussi, n’aboutissen­t pas.

Si « le cinéma, c’est la famille », les podcasts, elle les vit comme « une échappée ». Après La maison du loup, elle sort, le 17 février, un autre podcast, sur France Culture, dans lequel son père, Costa- Gavras, revient sur un pan qu’elle méconnaiss­ait de leur histoire familiale en Grèce, juste après la Seconde Guerre mondiale, pendant la guerre civile.

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| PHOTO : NICOLAS MARQUES Julie Gavras, dans son quartier du Ve arrondisse­ment de Paris.

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