Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« On peut se prendre une claque en lisant le rapport »
La commission d’enquête parlementaire sur les défaillances du sport français pointe, dans son rapport publié mardi, une « omerta » et un « entre soi ». Entretien avec sa présidente, Béatrice Bellamy.
Béatrice Bellamy, députée (Horizons) de Vendée et présidente de la « commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement » du sport français.
Les 90 auditions menées par la commission d’enquête parlementaire que vous présidez, sur les défaillances dans le sport français, ont abouti à un rapport publié mardi, qui souligne « un entre soi qui engendre l’omerta à tous les étages ». Vous attendiez-vous à ce constat ?
Non, je n’étais pas consciente qu’on allait descendre si profondément. On a commencé les auditions par des témoignages de victimes de violences. Ça a été poignant, notamment avec l’ex-joueuse de tennis Angélique Cauchy (qui a déclaré avoir été « violée près de 400 fois par son entraîneur »). On sombre très profondément, puis on ouvre une page avec des sportifs qui ne sont pas forcément des victimes, puis les membres des fédérations, pour terminer avec les ministres. Cette chronologie nous a permis d’ouvrir les yeux, collectivement, avec ma collègue rapporteure Sabrina Sebaihi, nos collaborateurs, et 30 députés de tous les groupes politiques, à l’exception du RN.
Que retenez-vous de ce travail, en matière de violences sexistes et sexuelles ?
On a l’impression que c’était su, connu, mais qu’on n’en a pas parlé, et que ça n’a été pris politiquement à bras- le- corps qu’à partir du témoignage de Sarah Abitbol (2020) et l’arrivée de Roxana Maracineanu au ministère des Sports (2018). Ce sont deux femmes qui ont commencé à lever le voile sur ce sujet, face au mastodonte du mouvement sportif, bien souvent dirigé par des hommes.
Et sur les discriminations, notamment le racisme et l’homophobie ? On est juste au démarrage de la prise de conscience. On a constaté, bien sûr, des cris, des chants, dans des enceintes sportives, sur des matches de ligue mais aussi sur nos territoires. Les uns et les autres commencent à parler, mais on n’a pas encore l’historique des violences sexistes et sexuelles. Mais ça y est, le sujet est pris à bras-le- corps, ça se manifeste à voix haute. La commission propose de pouvoir stopper un match ou encore de stopper sa retransmission, avec le levier financier que ça implique. On n’a pas fini.
Secouer ce « mastodonte » à six mois des Jeux olympiques, est-ce de nature à accélérer une réaction ou au contraire à la freiner ?
Pour le grand public, on peut se prendre une claque à la lecture du rapport, mais pour le milieu sportif, c’est n’est pas une révélation. On ne veut
pas déstabiliser le mouvement sportif, il y a aussi des sportifs et des bénévoles qui vivent dans un environnement sain. On veut juste mettre le doigt sur des comportements individuels intolérables. Et il faut communiquer, ne pas s’en tenir au silence, et surtout que ça ne se reproduise pas.
Quant aux JO, le temps long du travail parlementaire nécessite de réfléchir bien en amont, notamment dans la perspective de la grande loi- cadre d’héritage des JO voulue par le ministère.
Quelle suite voulez-vous donner à ce travail parlementaire ?
Ce rapport formule 60 recommandations, je ne voudrais pas que ça tombe aux oubliettes. On va défendre ces propositions, lors de réunions publiques et auprès du mouvement sportif, dans nos territoires.
Je défends notamment la création d’une autorité administrative indépendante chargée de la protection de l’éthique du sport. C’est nécessaire comme organe de surveillance, et d’y intégrer la cellule de traitement des signalements Signal-sports, généralisée à toutes les fédérations.
Rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescriptibles, c’est important aussi. Ce sont les sportives victimes qui nous l’ont demandé, témoignant qu’il peut y avoir un flash, des années plus tard, qui fait réapparaître un souvenir après une amnésie traumatique qui doit être reconnue.
Enfin, le contrôle d’honorabilité n’est pas suffisamment développé aujourd’hui. Des prédateurs disparaissent d’une fédération pour se
réinscrire dans une autre. Il faut qu’il y ait une traçabilité entre les fédérations, même pour les bénévoles.
Les projecteurs ont aussi été braqués sur la commission après que son rapport a pointé la substantielle rémunération d’Amélie OudéaCastéra lorsqu’elle était employée de la Fédération française de Tennis. Inconfortable pour la députée de la majorité que vous êtes ?
Ce rapport tombe en pleine « chasse à l’homme », alors que la ministre Amélie Oudéa- Castéra est désormais à la tête d’un pôle ministériel, mais ça n’a rien à voir : elle a été auditionnée, comme d’autres ministres et anciens ministres. Elle a été interrogée sur sa rémunération à la Fédération française de Tennis, elle a répondu clairement. Je ne commenterai pas sa rémunération. Ce n’est pas le but de cette commission.
Ou encore lorsque vous suggérez à Didier Deschamps d’inviter les députés présents à un match de l’équipe de France. Lui en avezvous reparlé depuis ?
On est au terme d’une journée de huit heures d’audition, c’est la période à laquelle on me découvre un cancer de l’oeil. Didier Deschamps commence à se détendre après 1 h 30 d’audition, et donc je fais cette boutade, en toute spontanéité. Ça a pris de l’ampleur le temps d’un week- end. Ce n’est pas évident quand on est incriminée de partout sur les réseaux sociaux. Loin de moi l’idée de me faire inviter à un évènement sportif, je n’ai d’ailleurs jamais parlé de gratuité. Je n’ai pas revu Didier Deschamps, et je n’ai pas été invitée à un match.
Le 13 novembre, vous avez annoncé souffrir d’un mélanome de l’oeil, une forme de cancer rare. Com
ment allez-vous ? Un mot sur le choix de rendre public son état de santé quand on est politique ?
J’ai été opéré, j’ai eu des séances de radiothérapie. Le mélanome de l’uvée, c’est une maladie rare, la même que Philippe de Villiers (2009) avec qui j’ai échangé sur le parcours de soins, suivi d’une surveillance étroite. Je l’ai rendu public parce que j’ai dû alléger mon agenda. Que j’ai accusé le coup aussi. J’ai dû expliquer mes absences. Ce n’est pas facile d’afficher une faiblesse.
Administratrice de la Ligue contre le cancer, vous avez créé en 2015, la Joséphine, une course 100 % féminine à La Roche-sur-Yon (Vendée), où vous êtes élue municipale aux sports, pour récolter des fonds contre le cancer du sein. C’est aussi ça, le sport ?
C’est envoyer un message de convivialité, de solidarité, de prévention, d’espérance. Dans la rue ce jour-là, il y a des femmes en cours de traitement, portées moralement voire physiquement par cet élan de générosité : 22 000 femmes toutes en rose.
« Je n’ai pas revu Didier Deschamps »
Et vous, êtes-vous sportive ?
Avant d’être élue députée en 2022, je faisais de la marche nordique de compétition, au club de La MotheAchard, l’ACPA. Je n’ai plus le temps, et je le regrette. Donc je cours, à Paris. Depuis l’annonce de ma maladie, j’ai lâché, mais je vais m’y remettre. Je suis aussi bénévole dans le club de hockey sur glace de mon fils, à La Roche- sur-Yon. J’ai quitté le bureau lorsque j’ai été élue municipale en 2014, mais je suis toujours derrière le bar, à la tireuse à bière, lors des matches du Hogly, pour servir avec modération.