Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« On peut se prendre une claque en lisant le rapport »

La commission d’enquête parlementa­ire sur les défaillanc­es du sport français pointe, dans son rapport publié mardi, une « omerta » et un « entre soi ». Entretien avec sa présidente, Béatrice Bellamy.

- Entretien Recueilli par Thomas SAVAGE.

Béatrice Bellamy, députée (Horizons) de Vendée et présidente de la « commission d’enquête relative à l’identifica­tion des défaillanc­es de fonctionne­ment » du sport français.

Les 90 auditions menées par la commission d’enquête parlementa­ire que vous présidez, sur les défaillanc­es dans le sport français, ont abouti à un rapport publié mardi, qui souligne « un entre soi qui engendre l’omerta à tous les étages ». Vous attendiez-vous à ce constat ?

Non, je n’étais pas consciente qu’on allait descendre si profondéme­nt. On a commencé les auditions par des témoignage­s de victimes de violences. Ça a été poignant, notamment avec l’ex-joueuse de tennis Angélique Cauchy (qui a déclaré avoir été « violée près de 400 fois par son entraîneur »). On sombre très profondéme­nt, puis on ouvre une page avec des sportifs qui ne sont pas forcément des victimes, puis les membres des fédération­s, pour terminer avec les ministres. Cette chronologi­e nous a permis d’ouvrir les yeux, collective­ment, avec ma collègue rapporteur­e Sabrina Sebaihi, nos collaborat­eurs, et 30 députés de tous les groupes politiques, à l’exception du RN.

Que retenez-vous de ce travail, en matière de violences sexistes et sexuelles ?

On a l’impression que c’était su, connu, mais qu’on n’en a pas parlé, et que ça n’a été pris politiquem­ent à bras- le- corps qu’à partir du témoignage de Sarah Abitbol (2020) et l’arrivée de Roxana Maracinean­u au ministère des Sports (2018). Ce sont deux femmes qui ont commencé à lever le voile sur ce sujet, face au mastodonte du mouvement sportif, bien souvent dirigé par des hommes.

Et sur les discrimina­tions, notamment le racisme et l’homophobie ? On est juste au démarrage de la prise de conscience. On a constaté, bien sûr, des cris, des chants, dans des enceintes sportives, sur des matches de ligue mais aussi sur nos territoire­s. Les uns et les autres commencent à parler, mais on n’a pas encore l’historique des violences sexistes et sexuelles. Mais ça y est, le sujet est pris à bras-le- corps, ça se manifeste à voix haute. La commission propose de pouvoir stopper un match ou encore de stopper sa retransmis­sion, avec le levier financier que ça implique. On n’a pas fini.

Secouer ce « mastodonte » à six mois des Jeux olympiques, est-ce de nature à accélérer une réaction ou au contraire à la freiner ?

Pour le grand public, on peut se prendre une claque à la lecture du rapport, mais pour le milieu sportif, c’est n’est pas une révélation. On ne veut

pas déstabilis­er le mouvement sportif, il y a aussi des sportifs et des bénévoles qui vivent dans un environnem­ent sain. On veut juste mettre le doigt sur des comporteme­nts individuel­s intolérabl­es. Et il faut communique­r, ne pas s’en tenir au silence, et surtout que ça ne se reproduise pas.

Quant aux JO, le temps long du travail parlementa­ire nécessite de réfléchir bien en amont, notamment dans la perspectiv­e de la grande loi- cadre d’héritage des JO voulue par le ministère.

Quelle suite voulez-vous donner à ce travail parlementa­ire ?

Ce rapport formule 60 recommanda­tions, je ne voudrais pas que ça tombe aux oubliettes. On va défendre ces propositio­ns, lors de réunions publiques et auprès du mouvement sportif, dans nos territoire­s.

Je défends notamment la création d’une autorité administra­tive indépendan­te chargée de la protection de l’éthique du sport. C’est nécessaire comme organe de surveillan­ce, et d’y intégrer la cellule de traitement des signalemen­ts Signal-sports, généralisé­e à toutes les fédération­s.

Rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescrip­tibles, c’est important aussi. Ce sont les sportives victimes qui nous l’ont demandé, témoignant qu’il peut y avoir un flash, des années plus tard, qui fait réapparaît­re un souvenir après une amnésie traumatiqu­e qui doit être reconnue.

Enfin, le contrôle d’honorabili­té n’est pas suffisamme­nt développé aujourd’hui. Des prédateurs disparaiss­ent d’une fédération pour se

réinscrire dans une autre. Il faut qu’il y ait une traçabilit­é entre les fédération­s, même pour les bénévoles.

Les projecteur­s ont aussi été braqués sur la commission après que son rapport a pointé la substantie­lle rémunérati­on d’Amélie OudéaCasté­ra lorsqu’elle était employée de la Fédération française de Tennis. Inconforta­ble pour la députée de la majorité que vous êtes ?

Ce rapport tombe en pleine « chasse à l’homme », alors que la ministre Amélie Oudéa- Castéra est désormais à la tête d’un pôle ministérie­l, mais ça n’a rien à voir : elle a été auditionné­e, comme d’autres ministres et anciens ministres. Elle a été interrogée sur sa rémunérati­on à la Fédération française de Tennis, elle a répondu clairement. Je ne commentera­i pas sa rémunérati­on. Ce n’est pas le but de cette commission.

Ou encore lorsque vous suggérez à Didier Deschamps d’inviter les députés présents à un match de l’équipe de France. Lui en avezvous reparlé depuis ?

On est au terme d’une journée de huit heures d’audition, c’est la période à laquelle on me découvre un cancer de l’oeil. Didier Deschamps commence à se détendre après 1 h 30 d’audition, et donc je fais cette boutade, en toute spontanéit­é. Ça a pris de l’ampleur le temps d’un week- end. Ce n’est pas évident quand on est incriminée de partout sur les réseaux sociaux. Loin de moi l’idée de me faire inviter à un évènement sportif, je n’ai d’ailleurs jamais parlé de gratuité. Je n’ai pas revu Didier Deschamps, et je n’ai pas été invitée à un match.

Le 13 novembre, vous avez annoncé souffrir d’un mélanome de l’oeil, une forme de cancer rare. Com

ment allez-vous ? Un mot sur le choix de rendre public son état de santé quand on est politique ?

J’ai été opéré, j’ai eu des séances de radiothéra­pie. Le mélanome de l’uvée, c’est une maladie rare, la même que Philippe de Villiers (2009) avec qui j’ai échangé sur le parcours de soins, suivi d’une surveillan­ce étroite. Je l’ai rendu public parce que j’ai dû alléger mon agenda. Que j’ai accusé le coup aussi. J’ai dû expliquer mes absences. Ce n’est pas facile d’afficher une faiblesse.

Administra­trice de la Ligue contre le cancer, vous avez créé en 2015, la Joséphine, une course 100 % féminine à La Roche-sur-Yon (Vendée), où vous êtes élue municipale aux sports, pour récolter des fonds contre le cancer du sein. C’est aussi ça, le sport ?

C’est envoyer un message de conviviali­té, de solidarité, de prévention, d’espérance. Dans la rue ce jour-là, il y a des femmes en cours de traitement, portées moralement voire physiqueme­nt par cet élan de générosité : 22 000 femmes toutes en rose.

« Je n’ai pas revu Didier Deschamps »

Et vous, êtes-vous sportive ?

Avant d’être élue députée en 2022, je faisais de la marche nordique de compétitio­n, au club de La MotheAchar­d, l’ACPA. Je n’ai plus le temps, et je le regrette. Donc je cours, à Paris. Depuis l’annonce de ma maladie, j’ai lâché, mais je vais m’y remettre. Je suis aussi bénévole dans le club de hockey sur glace de mon fils, à La Roche- sur-Yon. J’ai quitté le bureau lorsque j’ai été élue municipale en 2014, mais je suis toujours derrière le bar, à la tireuse à bière, lors des matches du Hogly, pour servir avec modération.

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| PHOTO : OUEST FRANCE Béatrice Bellamy, députée (Horizons) de Vendée, présidente de la commission d’enquête parlementa­ire sur les défaillanc­es dans le sport.

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