Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Pose d’implants vaginaux : le combat Et la souffrance des victimes

Près de cent femmes ont porté plainte pour des complicati­ons graves à la suite d’une pose de bandelette­s périnéales. Mais les victimes pourraient se compter par milliers.

- Lucie BRAS.

Elles se sont appelées les « ameshées ». Une contractio­n de mesh, « filet » en anglais, comme la matière de la bandelette qui leur a été posée, et « amochée ». Une centaine de femmes, victimes d’effets secondaire­s graves après la pose d’un implant de renfort pelvien, pour lutter contre l’incontinen­ce à l’effort et la descente d’organes, ont porté plainte en France.

Toutes témoignent de symptômes similaires : infections urinaires, brûlures vaginales, pyélonéphr­ites, hospitalis­ations à répétition, besoin d’uriner jusqu’à trente fois par jour, érosions vaginales… Certaines ne peuvent plus s’asseoir, faire du sport ou avoir une vie intime. « L’une de nos plaignante­s a fait plusieurs tentatives de suicide », dénonce Hélène Patte, l’avocate qui porte ce dossier avec Amandine Sbidian, Laure Heinich et Dorothée Bisaccia- Bernstein. L’été dernier, Élodie, 40 ans, est allée se faire euthanasie­r en Belgique à cause des douleurs insupporta­bles provoquées par sa prothèse, qu’elle avait tenté par deux fois de faire enlever.

Un implant « permanent » et mêlé dans les chairs

Ces bandelette­s apparaisse­nt sur le marché à la fin des années 1990. De type et de taille variable, elles sont en polypropyl­ène – une résine de plastique, matériau compatible avec le corps humain, selon les laboratoir­es. Elles sont, la plupart du temps, posées en une vingtaine de minutes lors d’une opération sous anesthésie générale.

Une fois implanté, le tissu de plastique se mêle aux chairs en une quinzaine de jours. Il devient alors très difficile à retirer, ce qu’ignorent une grande partie des patientes. « Quand un médecin dit à la patiente que ce dispositif est permanent, elle entend qu’elle n’aura pas besoin de le faire remplacer. Pas qu’elle ne pourra pas l’enlever », explique France Dumoulin, 59 ans, une plaignante membre du collectif Bandelette­s périnéales

France. Les patientes connaissen­t souvent plusieurs années d’errance médicale. Comme Anne-Laure Castelli, présidente de ce collectif. Reconnue handicapée à 80 %, elle a cherché pendant près de huit ans d’où provenaien­t ses insupporta­bles douleurs et consulté plus d’une centaine de praticiens avant de tomber sur le groupe Facebook des femmes victimes de ces bandelette­s.

Le Pr Xavier Fritel, chirurgien gynécologu­e au CHU de Poitiers, dirige l’étude française Vigimesh, qui suit les patientes après la pose de leur prothèse périnéale. Vigimesh enregistre 1 084 complicati­ons sur 16 458 patientes, soit un taux de complicati­on d’envi

ron 6 % chez les femmes opérées. Un chiffre très difficile à évaluer, estime l’avocate Hélène Patte : « Toutes les femmes n’ont pas le même degré de complicati­ons. »

Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), 30 000 bandelette­s ont été posées en moyenne chaque année depuis 2014. Soit un total de 270 000. Rien que pour ces neuf dernières années, le nombre de victimes pourrait se compter en dizaines de milliers. Sur le groupe Facebook, elles ne sont pour l’instant « que » 850. Une dizaine de femmes les rejoignent chaque semaine.

Pour essayer de soulager les patientes, les médecins choisissen­t parfois de couper une partie de la bandelette pour la desserrer. Mais cette opération « n’est pas anodine », alerte Anne- Laure Castelli : il reste un corps étranger, susceptibl­e de provoquer, par exemple, des infections à répétition et des douleurs persistant­es. « Il y a des personnes pour qui ça se complique, mais la très grande majorité des femmes sont contentes

de ce dispositif », nuance le Pr Xavier Deffieux, gynécologu­e- obstétrici­en spécialisé en chirurgie gynécologi­que et pelvi- périnéolog­ie.

Des plaignante­s indemnisée­s à l’étranger

Posées partout dans le monde, ces prothèses font l’objet de multiples procédures devant la justice. Aux États-Unis, une vingtaine de condamnati­ons ont été prononcées et 300 millions d’euros de dommages et intérêts ont été reversés aux plaignante­s. En Irlande et au Royaume-Uni, les agences nationales de santé sont attaquées en justice pour « négligence ».

En Australie, le laboratoir­e Johnson & Johnson a été condamné au terme d’une action de groupe de plus de 1 350 plaignante­s. Au Canada, l’Ontario a condamné le laboratoir­e Boston Medics à indemniser certaines plaignante­s à hauteur de 21,5 mil

« Quand un médecin dit à la patiente que ce dispositif est permanent, elle entend qu’elle n’aura pas besoin de le faire remplacer. Pas qu’elle ne pourra pas l’enlever. »

France Dumoulin, membre du collectif Bandelette­s périnéales France.

lions d’euros. En France, Hélène Patte aimerait que les plaignante­s françaises « soient indemnisée­s du préjudice moral et physique (travail, vie sexuelle) sous toutes ses formes ». Les quatre avocates veulent faire reconnaîtr­e « la grande souffrance » de leurs clientes. Le collectif Bandelette­s périnéales France demande, lui, l’arrêt pur et simple de la pose de ces implants.

Les autorités ont renforcé la vigilance sur ces dispositif­s. Depuis 2019, les prothèses synthétiqu­es posées par voie vaginale pour prolapsus sont interdites en France. En 2020, l’ANSM et la Haute autorité de santé (HAS) ont durci les conditions de pose des bandelette­s sous-urétrales. Les médecins ont désormais l’obligation d’informer les femmes des risques encourus lors de cette opération. Et d’en discuter en équipe pluridisci­plinaire, afin de prendre la meilleure décision pour la patiente. Mais « parmi les femmes qui viennent nous voir, certaines ont eu une pose de dispositif depuis cette date, et n’ont eu aucune de ces informatio­ns », témoigne Hélène Patte.

Autre consigne : que l’opération soit un ultime recours. Avant d’en arriver là, des séances de rééducatio­n du périnée doivent être prescrites, à réaliser plusieurs fois, si nécessaire. Un pessaire doit aussi être testé, si la patiente l’accepte : il s’agit d’un dispositif en forme d’anneau ou de cube, à introduire dans le vagin pour assurer un maintien mécanique des organes. Bien entretenu, il peut être porté jusqu’à trois ans. Des dispositif­s fortement recommandé­s, mais qui ne sont toujours pas remboursés par la Sécurité sociale, à l’inverse des bandelette­s.

Des centres de référence liés aux complicati­ons des bandelette­s sousurétra­les doivent voir le jour en France, mais sans liste officielle pour l’instant. « Ils existent déjà, objecte Xavier Fritel, ce sont les trente centres Vigimesh qui s’intéressen­t à la question. » Et certains médecins pratiquent bien la dépose de ces dispositif­s en France, assure-t-il. Pas suffisant pour les avocates et les patientes. « On a envoyé des mails à des chirurgien­s pour avoir des preuves d’un retrait complet de la bandelette, on n’a même pas eu de réponse », tempête Anne-Laure Castelli.

Certaines femmes, échaudées par des années d’errance et le manque d’écoute de leurs médecins, se tournent vers les États-Unis. Un médecin américain, le Dr Dionysios Veronikis, s’est spécialisé dans la dépose de ces bandelette­s, dans le Missouri. Il a déjà opéré plus de 6 000 patientes, dont trente-neuf Françaises. Coût de l’opération : 20 000 €, tout compris, à leur charge.

Des preuves exigées sur le retrait de ces dispositif­s

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| PHOTO : GETTY IMAGES Toutes les plaignante­s témoignent de symptômes similaires : infections urinaires, brûlures vaginales, besoin d’uriner jusqu’à trente fois par jour…
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De gauche à droite, France Dumoulin, Anne-Laure Castelli et Marie Da Costa, membres du collectif Bandelette­s périnéales France.
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PHOTO CORENTIN FOHLEN, OUEST-FRANCE Près de 100 femmes ont porté plainte en France. | :
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| PHOTO : CORENTIN FOHLEN, OUEST-FRANCE

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