Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

La nuit d’« apocalypse » où le Parlement a brûlé

Le Parlement de Bretagne, à Rennes, a été ravagé par le feu dans la nuit du 4 au 5 février 1994, après une journée de manifestat­ion de marins pêcheurs. Les Rennais n’ont pas oublié cette nuit.

- Linda BENOTMANE.

Récit

Dans la nuit du 4 au 5 février 1994, en plein coeur de Rennes, le Parlement de Bretagne était en partie détruit par le feu. Un gigantesqu­e incendie qui est encore très présent dans la mémoire des Rennais et des Bretons, trente ans plus tard. « Il est survenu après une journée de tension extrême à Rennes », se souvient Joseph, 50 ans, qui était étudiant en droit à l’université Rennes 1, en 1994.

Ce jour-là, alors que quelques heures plus tôt, le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, était en visite dans la capitale bretonne, pour une signature de contrat entre l’État et la Région, une violente manifestat­ion de marins pêcheurs avait tourné à l’émeute. Elle avait fait plusieurs dizaines de blessés.

Bruno Collet avait 21 ans en 1994. Il était pompier à Saint- Georges. « La violence était présente dès le matin, rappelle- t- il. On intervenai­t en ville pour éteindre des feux de véhicules, de poubelles. Un bus a commencé à brûler dans la rue Édith- Cavell, à quelques mètres de la place du Parlement. Le véhicule était en travers de la rue, contre la vitrine d’un magasin. C’était chaotique, c’était la guerre. Les pavés, déterrés dans les rues piétonnes, volaient. C’était violent, très violent. Ça m’a marqué. »

En fin de journée, peu avant la fin de la manifestat­ion, plusieurs fusées de détresse sont lancées à proximité du palais. L’une d’entre elles brise une ardoise et se retrouve dans la charpente. Les manifestan­ts se dispersent. La ville de Rennes pense enfin retrouver son calme. Durant toute la soirée et le début de la nuit, le feu d’une fusée couve sous le toit, sans attirer l’attention.

« On va revivre le grand incendie de 1 720 ! »

Joseph était présent autour de la place. Il garde un souvenir intact de cette fin de soirée : « Je sortais de chez un ami, rue Saint- Georges, peu avant 1 h du matin. Le Parlement était en feu. Je suis resté saisi. L’Apocalypse. Des flammes gigantesqu­es jaillissai­ent du Parlement dégageant une chaleur dantesque. Beaucoup de bruit et d’agitation, des pompiers partout. Et surtout une lumière irréelle, comme en plein jour mais pas vraiment. »

Catherine Judéaux, avocate, raconte : « J’étais sortie avec des amis, près de la cathédrale Saint- Pierre. Je remontais vers chez moi, rue Le-Bastard, quand j’ai vu une grande lumière qui émergeait dans le

ciel, et toute cette fumée… Les toits étaient en feu, c’était impression­nant. On voyait des flammèches. À un moment, on s’est dit : « Oh mon Dieu, on va revivre le grand incendie de 1 720 ! »

Dominique Irvoas Dantec est alors médiatrice du patrimoine pour Rennes Ville d’art et d’histoire. « C’est un journalist­e qui m’a téléphoné pour me dire que le Parlement était en feu. Je ne voulais pas le croire. »

Elle habite au Colombier. « Par ma fenêtre, j’ai vu la fumée. » Elle se rend sur place avec ses deux adolescent­s. « Ce qui m’a frappée, c’est le silence. Personne ne parlait. Les gens étaient prostrés, incrédules. »

Le lendemain, même sentiment de sidération dans l’esprit des Rennais. Dans le journal Ouest-France du 7 février 1994, de nombreux passants ont témoigné.

Alain Gérault, conseiller municipal à la Ville de Rennes, avait réagi : « C’est comme si on avait déchiré une page d’un livre d’histoire. On est impuissant. On s’interroge parce que c’est le symbole de la Bretagne. Ça nous touche au plus profond de nous-mêmes. »

« Des flammes gigantesqu­es jaillissai­ent du Parlement »

« Les gens pleuraient »

Une habitante de la place du Parlement s’était aussi confiée : « C’est un sentiment d’horreur, comme un deuil. Une image dantesque. On ne pouvait rien dire. Devant un tel brasier, on avait des inquiétude­s pour notre immeuble.

Une autre femme, fonctionna­ire en poste dans un ministère à Paris, qui a travaillé dix ans au Parlement, avait déclaré dans les colonnes du journal : « Les Rennais ne connaissai­ent pas la richesse de l’intérieur de leur Parlement. Des kilomètres de dossiers y ont été sauvegardé­s depuis des siècles. Et la bibliothèq­ue avec de vieux registres sur la Bretagne, dorés à l’or fin. Cela me fend le coeur. »

Trente ans plus tard, l’émotion est toujours présente dans l’esprit des Rennais. « Sa destructio­n fut un choc pour les Bretons, se rappelle Ronan Gueguen, 65 ans. Je suis venu voir l’étendue des dégâts le lendemain. C’était un spectacle bien triste. Les gens pleuraient. Heureuseme­nt, il y a eu une mobilisati­on affective et financière rapide et très forte. Dès le lendemain de l’incendie, l’Associatio­n pour la renaissanc­e du palais du Parlement de Bretagne est née et a été chargée de collecter les dons afin de contribuer à la reconstruc­tion rapide. »

Pour Dominique Irvoas-Dantec, qui deviendra directrice du patrimoine, « ça donne à réfléchir. Nous ne nous rendons pas toujours compte de la qualité de ce que l’on a. On en prend conscience quand on le perd. Le Parlement était là, on le pensait immuable comme la démocratie aujourd’hui. »

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| PHOTO : SDIS35 ARCHIVES Interventi­on des pompiers pour éteindre l’incendie du Parlement, dans la nuit du 4 février 1994. Du jamais vu à Rennes, des tuyaux puisent l'eau de la Vilaine.
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PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE L’incrédulit­é et la tristesse des Rennais face à l’incendie du Parlement de Bretagne en 1994.

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