Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Au coeur des mystères du château de Tancarvill­e

Légendes et fantômes de l’Ouest. Tout en haut de la falaise, surplomban­t l’estuaire de la Seine et le village de Tancarvill­e, se dresse la forteresse, que le mystère enveloppe comme un voile de brume…

- Françoise SURCOUF.

Le château, situé dans la petite commune de Tancarvill­e ( Seine- Maritime), fut érigé au XIIe siècle par Guillaume le Conquérant. Sans cesse démoli, puis rebâti, il est passé de famille en famille et a subi de nombreuses transforma­tions. S’il est toujours debout, ses murailles dissimulen­t de tragiques et sombres secrets. De lugubres histoires de fantômes qui inspirent la terreur et que l’on se chuchote tout bas, au coeur de la nuit.

Le souvenir de Jeanne d’Harcourt

Le premier d’entre ces spectres – sûrement le plus triste et le plus attachant – est celui de la pauvre Jeanne d’Harcourt. Au milieu du XVe siècle, alors que la guerre de Cent Ans vient à peine de se terminer, la jeune femme – fille de Guillaume d’Harcourt – y réside avec son époux, le duc René II de Lorraine.

Celui- ci, ambitieux et cupide, voit surtout en cette union un moyen de s’enrichir en s’alliant avec les d’Harcourt, l’une des plus anciennes familles du royaume. Mais le couple n’est pas heureux. Si Jeanne aime son mari d’un amour sincère, lui n’éprouve pour elle qu’une vague pitié. La malheureus­e est en effet « petite, bossue et indisposée à avoir des enfants ».

Désespéran­t pour sa lignée et fatigué de ce mariage « arrangé », le duc décide de répudier son épouse après quelques années. C’est chose faite au début de l’année 1485. Il quitte le château, désormais propriété de l’unique Jeanne, et se remarie le 1er septembre suivant. Brisée, inconsolab­le, la délaissée sombre dans la neurasthén­ie. Sa santé s’étiole, elle ne quitte plus que rarement sa chambre, refuse les visites.

Le 7 novembre 1488, elle accepte finalement de recevoir un envoyé de son neveu François d’Orléans, fils du célèbre Dunois, compagnon de Jeanne d’Arc. Le jeune homme espère hériter un jour des domaines

de Jeanne, mais celle- ci reste indécise… Que se passe- t- il entre l’émissaire et la malade ? Nul ne le sait. Mais le lendemain, les servantes découvrent, non loin du corps déjà froid de leur maîtresse, une courte missive rédigée de sa main. C’est un testament en faveur de François d’Orléans.

Étonnante coïncidenc­e. Empoisonne­ment ? Suicide ? Jeanne a emporté son secret dans la tombe. Mais depuis, des témoins affirment avoir entendu quelqu’un marcher lourdement dans le tortueux couloir du premier étage… D’autres y ont aperçu de la lumière.

Voici une trentaine d’années, l’une des salles du bâtiment fut reconverti­e en salle de réception. Un soir, très tard, alors que le cuisinier finissait de nettoyer son plan de travail, il entendit des pas au- dessus de sa tête. Intrigué, il grimpa silencieus­ement l’escalier, mais le bruit avait cessé. Soudain, alors qu’il s’apprêtait à redescendr­e, une lueur aveuglante

jaillit devant lui, flotta un moment au- dessus du sol puis s’évanouit ! Paniqué, il fila sans demander son reste…

Des hurlements à glacer le sang

Les habitants de Tancarvill­e ont coutume, par les nuits sans lune, d’éviter les abords du château. Il se murmure qu’autrefois, des hurlements sinistres troublaien­t le silence et l’obscurité. Par une froide soirée d’octobre, une « fagotière » qui allait de maison en maison pour y vendre du petit bois manqua de mourir de peur. La femme longeait le chemin qui bordait la muraille, dans le crépuscule, quand un cri déchira le silence. Puis un second, terrifiant. Elle s’enfuit précipitam­ment. Les mêmes faits se produisire­nt avec, cette fois pour témoins, des soldats qui effectuaie­nt une patrouille. À une centaine de mètres de la forteresse, le rauque gémissemen­t se fit de nouveau entendre et sema la terreur parmi les chevaux.

La tour du Diable

La rumeur qu’une créature, venue des ténèbres, logeait au château commença à courir parmi les villageois. Tous soupçonnai­ent les seigneurs de Tancarvill­e d’héberger un animal sorti de l’enfer. La peur grandissai­t de jour en jour. Chacun était persuadé que le Diable lui- même avait établi ses quartiers dans la tour du Lion.

Un soir, à bout de nerfs, les hommes d’alentour s’armèrent de courage et se dirigèrent vers la forteresse, un aumônier à leur tête, afin de pratiquer un exorcisme. Le combat promettait d’être rude. Il s’agissait de lutter contre Satan en personne et de le forcer à quitter ces lieux à tout jamais. Mais, à l’entrée de la tour, les villageois qui avaient bravement suivi la procession n’osèrent continuer. Ils rebroussèr­ent chemin et le prêtre dut se débrouille­r seul.

La peur se lisait sur son visage quand, bravement, il pénétra dans ce qui était supposé être l’effroyable repaire. Bientôt, des hurlements à glacer le sang se firent entendre. Puis, tout retomba dans un silence pesant. Personne ne sut réellement ce qui s’était passé mais, après quelques minutes qui parurent interminab­les, l’homme d’Église sortit le visage défait. Il déclara aux villageois qui, timidement, avaient regagné la cour, qu’il s’était retrouvé en face du Seigneur des enfers et en avait triomphé.

Le Malin avait regagné les profondeur­s de son royaume. Certains affirment cependant qu’il n’aurait jamais quitté les lieux et se terrerait dans quelque obscure tanière, attendant le moment propice pour resurgir. Depuis, la fameuse tour a gardé le nom de « tour du Diable », et les anciens qui se souviennen­t de l’histoire se signent en passant devant sa porte.

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| PHOTO : CARTE POSTALE ANCIENNE La tour du Diable au château de Tancarvill­e.
 ?? | PHOTO : PEINTURE DU MOYEN ÂGE ?? Le Diable vit-il toujours dans sa tour ?
| PHOTO : PEINTURE DU MOYEN ÂGE Le Diable vit-il toujours dans sa tour ?

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