Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Découvrir Estelle, disparue lors de la Shoah
Bastien François se livre à une minutieuse enquête pour reconstituer la personnalité et le parcours d’Estelle Moufflarge, une adolescente juive parisienne tuée à Auschwitz.
Cela aurait pu être Félix, Alex, Thérèse, Israel ou Paulette, un de ces nombreux enfants juifs assassinés par les nazis. Bastien François s’est lancé sur les traces d’Estelle, adolescente de 16 ans déportée, le 28 octobre 1943, à Auschwitz. Presque par hasard, lorsque ce professeur de science politique apprend l’existence d’un site permettant de découvrir, dans plusieurs villes de France, le nom et le lieu de résidence des jeunes victimes (1).
Lorsque Bastien François tape son adresse, rue Caulaincourt à Paris, le nom d’Estelle Moufflarge apparaît, à quelques immeubles du sien. Il ne va plus cesser de penser à elle, jusqu’à enquêter sur elle, reconstituer sa courte vie, la vouloir vivante. Pas par devoir de mémoire, mais pour que sa vie ne se résume pas à son assassinat. « Je crois, explique-t-il, que j’ai écrit ce livre parce que dès l’instant où j’ai rencontré Estelle, elle est devenue une partie de ma vie. Et cela ne s’explique pas. »
Joyeuse et inconsciente du danger
Le professeur de droit se lance dans un travail d’historien, reconstitue l’arbre généalogique d’Estelle, rencontre des témoins, des membres de sa famille. Il découvre son visage, encore plein des rondeurs de l’enfance, ses yeux clairs sur la photo sépia. Il lit avec émotion ses lettres, qui dessinent une jeune fille vive, joyeuse, pleine de caractère, un peu capricieuse, inconsciente du danger. Il se rend
compte, aussi, qu’Estelle était une cousine éloignée de Dora Bruder, héroïne du célèbre livre éponyme de Patrick Modiano, écrit à la faveur d’une démarche proche de la sienne.
Bastien François se saisit, aussi, du moindre fragment de son existence pour en restituer le décor, le contexte. Il ressuscite ainsi le quartier populaire de
Cayenne, à Saint- Ouen (Seine- SaintDenis), où elle a vécu ; s’intéresse au lycée Jules-Ferry où elle était élève ; livre un état des lieux de l’aryanisation des boucheries juives du XVIIIe arrondissement de Paris (Estelle, orpheline, vivait chez son oncle boucher).
Il parvient ainsi, au terme d’une enquête et d’un récit passionnants,
très documentés et émouvants, à rendre palpable l’existence d’Estelle et à lui rendre sa place.
Retrouver Estelle Moufflarge, Gallimard, 427 pages, 22,50 €.
(1) tetrade.huma-num.fr