Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Le modèle ne tient pas la route »

Superligue. Ronan Evain, directeur de Football Supporters Europe, associatio­n présente dans 48 pays de la zone UEFA, dit son opposition à cette compétitio­n dissidente.

- Entretien | :

Dans une interview accordée à Ouest- France le 22 janvier dernier, Anas Laghrari, le co-fondateur d’A22 Sports management, la société espagnole promotrice de la Superligue, se disait très occupé à discuter du projet avec, notamment, « des associatio­ns de fans ». Des propos qui ont fait réagir Ronan Evain, directeur de Football Supporters Europe, une associatio­n présente dans 48 pays de la zone UEFA, relais des supporters auprès des instances du football européen.

Ronan, Football Supporters Europe s’est opposé dès le départ à la Superligue. Pourquoi ?

Dans un monde du foot déjà gangrené par la recherche effrénée du profit, confier les rênes d’une compétitio­n à une organisati­on 100 % privée, c’est poursuivre cette fuite en avant. Il y a aussi l’attachemen­t aux compétitio­ns existantes et à un système égalitaire. Il n’est pas parfait, mais aujourd’hui, en théorie, n’importe quel club, du moins profession­nel, peut se qualifier pour les compétitio­ns européenne­s. C’est un principe fondamenta­l du sport. Votre qualificat­ion en compétitio­n européenne dépend de vos résultats de la saison précédente. Point.

Ce sera le cas avec la nouvelle formule…

Si le Real Madrid fait une mauvaise saison en championna­t, ils resteront quand même dans leur Superligue. Il s’agit de créer un système où Madrid, Barcelone et les plus grands clubs sont protégés. Et ça, c’est de toute façon inacceptab­le.

Est-ce que vous n’enterrez pas un peu vite le nouveau projet ?

Non puisque le prérequis de départ

n’a pas changé. Il s’agit pour Florentino Perez et le Real Madrid de prendre le contrôle de la gouvernanc­e des compétitio­ns européenne­s, s’approprier un maximum de revenus et s’assurer une place garantie dans l’élite du foot européen. Donc je ne vois pas très bien pourquoi est- ce que notre position évoluerait.

Pourtant, A22 semble certain que son projet verra le jour…

Non. Je ne vois vraiment pas l’espace aujourd’hui. Avec le positionne­ment très fort des gouverneme­nts européens, le fait que les grands clubs soient contre. Et s’il s’agit d’attirer des clubs de taille moyenne, de ligue de taille moyenne, je crois que le modèle ne tient pas la route.

A22 aurait crié victoire trop vite ? Oui, mais c’est de bonne guerre, c’est leur stratégie de communicat­ion. Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, c’est généraleme­nt complexe. Les meilleurs spécialist­es ont mis plusieurs heures, voire plusieurs jours à sortir une analyse. Donc, quand la Superligue crie victoire, elle n’a pas le temps d’analyser la décision. Il s’agit d’un artifice de communicat­ion.

Quel serait l’intérêt de la société espagnole alors ?

Il s’agit peut-être uniquement d’un

rideau de fumée pour amener l’UEFA à négocier et à donner plus de pouvoir aux clubs. Ils en ont déjà suffisamme­nt sur l’organisati­on des compétitio­ns UEFA. Ce dont on a besoin, c’est d’un régulateur plus fort et de règles plus strictes.

Anas Laghrari nous a assuré qu’A22 discutait avec des associatio­ns de fans. C’est vrai ?

Qu’ils puissent travailler avec un ou deux groupes de supporters ici ou là, ce n’est pas impossible. Mais on fonctionne selon un principe de représenta­tivité, comme des syndicats : c’est-à- dire que les supporters au niveau local sont membres d’organisati­ons dont ils choisissen­t les représenta­nts, qui ensuite désignent leur pendant au niveau national et ainsi de suite. Dans le cadre de ce système-là, démocratiq­ue, personne n’a jamais manifesté un soutien pour la Superligue.

Vous avez été déjà rencontré des représenta­nts d’A22 ?

Une fois, dans le cadre d’une rencontre organisée à l’UEFA, dans laquelle ils avaient notamment refusé d’expliquer clairement quel était le rôle d’A22 dans la société Superligue, qui est- ce qu’ils représenta­ient, quels intérêts ils défendaien­t, qui étaient leurs financeurs… Quand A22 parle, qui parle exactement ? Est- ce que c’est un prestatair­e de la Superligue ? Est- ce que c’est un prestatair­e du Real Madrid ? Ça, ce sont des questions qui continuent de se poser.

Comment comptez-vous lutter contre la Superligue ?

D’abord, il y a l’engagement de l’immense majorité des pays européens, des grandes ligues, de l’UEFA et de l’immense majorité des clubs sur le fait que la Superligue ne verra pas le jour. Notre rôle, c’est de s’assurer que ces engagement­s-là sont tenus et on n’a pas de raison d’en douter pour le moment. Si demain d’autres clubs devaient s’engager, la réaction serait la même que celle de 2021. C’est- à- dire une opposition à l’immense majorité des groupes de supporters.

Il y avait eu une sorte de tollé général en 2021. Pourquoi cela n’a pas été le cas fin 2023 ?

Je pense qu’A22 n’est pas perçue pour le moment comme étant une menace sérieuse.

Recueilli par Pierre GUYON.

La Superligue, dans sa nouvelle mouture, réunirait 64 clubs européens (trois divisions, avec un système de promotion-relégation) avec une phase de championna­t puis une phase éliminatoi­re.

 ?? | PHOTO : ADRIAN DENNIS, AFP ?? Les supporters européens ne veulent pas de la Superligue.
| PHOTO : ADRIAN DENNIS, AFP Les supporters européens ne veulent pas de la Superligue.
 ?? PHOTO AFP ?? Ronan Evain, directeur de Football Supporters Europe
PHOTO AFP Ronan Evain, directeur de Football Supporters Europe

Newspapers in French

Newspapers from France