Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Face à l’inceste, Norma joue la carte du rire

Victime d’abus sexuels lorsqu’elle était enfant, Norma raconte l’indicible dans un spectacle humoristiq­ue : Norma[le]. L’aboutissem­ent d’un long cheminemen­t.

- Pierre-Antoine LIVENAIS.

Soudain les rires fusent. Timides d’abord, presque gênés. Puis de moins en moins contenus, au fur et à mesure que la narration progresse.

Un langage cru, une aversion pour le tabou. La recette de Norma, jeune humoriste de 32 ans, a semble- t- il trouvé son public. En ce mercredi soir de représenta­tion de Norma[le] – le nom de son spectacle –, les quelque quatre-vingts places qu’offre l’exigu Théâtre du Marais, situé dans le IIIe arrondisse­ment de Paris, ont, une fois de plus, trouvé preneurs.

Une heure d’un seule- en- scène rythmé, durant laquelle aucun sujet n’est éludé. De l’écologie à la recherche de son père, en passant par la téléréalit­é et son combat face aux tocs, Norma se livre, « se met à nu » devant ses spectateur­s. Elle qui se définit comme une « grande timide », qui s’impose « des répétition­s générales et cherche ses sujets de discussion­s avant de sortir au restaurant », a fait ses premiers pas sur scène il y a quatre ans. Un saut dans l’inconnu pour s’exprimer sur l’indicible.

Enfant manipulée

Faire de l’horreur un sujet d’humour : un pari risqué. Le cauchemar, fil conducteur de son spectacle, Norma l’a vécu alors qu’elle était enfant. De ses 3 ans à l’entrée dans l’adolescenc­e, elle est victime d’inceste. Dans la ville de Figeac (Lot), où elle grandit, le monstre prend le visage de son grand- père qui la viole, la manipule, l’empêche de parler. « Je pense avoir été marquée dès le début, mais je n’arrivais pas à conscienti­ser ce qui m’arrivait, se souvient l’artiste, attablée dans un café du XVIIIe arrondisse­ment de la capitale, au lendemain d’une représenta­tion. Je réagissais à chaud, je m’énervais fort, j’avais du mal à être contenue. J’aurais voulu que l’on essaie de me comprendre. »

Lorsque l’adolescenc­e pointe le bout de son nez, les premiers émois amoureux jouent le rôle d’interrupte­ur dans la tête de la jeune fille. « Moi, j’étais amoureuse d’Arthur, un gars de mon âge. Pas d’un homme de 70 ans, qui plus est mon grand- père ! Ce jour- là, j’ai compris que ce qu’il voulait me faire croire, ce n’était pas vrai, c’était impossible. »

Et qu’importe si le septuagéna­ire menace « d’arracher les yeux de sa maman » si l’enfant dévoile le secret. Norma choisit de se confier à sa grand-mère. Comme réponse à son courage, elle reçoit une gifle. Puis, le silence s’impose dans la famille, et l’omerta dans le petit village. « Parler, cela signifiait désaimer des gens que l’on a aimés, accepter que les proches puissent être toxiques. »

Le cas de Norma n’est pas isolé. Dans son rapport sur l’année 2023, la Commission indépendan­te sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) avance que 50 % des enfants qui osent témoigner ne sont, par la suite, pas sécurisés par leur confident.

Alors, Norma s’isole. Une adolescenc­e « survolée », dont il ne lui reste que peu de souvenirs. « J’ai une sorte d’amnésie traumatiqu­e. J’ai l’impression de ne pas avoir beaucoup été là jusqu’à mes 24-25 ans. » Comme quatre victimes d’inceste sur dix, des troubles alimentair­es apparaisse­nt. Norma doit aussi apprendre à vivre avec des tocs : « Une lutte incessante ».

La scène, son salut

Si elle assure suivre le chemin vers la guérison grâce à une thérapie médicale entamée il y a près de dix ans, l’humoriste doit aussi son salut à la scène, son premier amour, né « des performanc­es de Jamel Debbouze à la télévision ».

En 2016, après avoir travaillé dans les métiers du social, elle intègre l’École du One Man Show, à Paris, et écrit son spectacle, Norma [le]. « J’avais commencé il y a des années, mais il ne parlait pas autant de l’inceste. J’ai dû m’autoriser, et ça a pris du temps, à aller plus loin dans le sujet. »

Cette prise de parole lui a aussi permis de témoigner « sans humour, avec beaucoup de larmes », dans le documentai­re Un silence si bruyant, réalisé par Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova, diffusé à la télévision en septembre 2023. Un pas après l’autre, elle souhaite « toucher le coeur du plus de monde possible », dans un pays qui compte 160 000 victimes d’inceste chaque année. En attendant, Norma voit grand. « L’Olympia, j’en rêve. Ça marquerait ma réussite. »

Norma[le] jusqu’au 27 mars, à Paris, au Théâtre du Marais, tous les mercredis à 21 h. Puis à la Rochelle (Charente- Maritime) le 20 septembre 2024 et au Mans ( Sarthe) le 21 septembre 2024. norma-le.com

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| PHOTO : CORENTIN FOHLEN / OUEST-FRANCE Norma jouera son spectacle « Norma[le] » au Mans (Sarthe), le 21 septembre.

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