Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« La France n’écoute pas assez ses chercheurs »

Grand chercheur en immunologi­e, président de l’Académie des sciences et figure de la pandémie de Covid-19, Alain Fischer défend la recherche et la place des scientifiq­ues dans la cité.

- Propos recueillis par Philippe RICHARD.

Vous sortez un livre intitulé Protéger les vivants. Joli titre…

C’est bien sûr l’objectif de la médecine. Cela renvoie à ma pratique médicale auprès d’enfants malades et à la protection contre les infections, qui a été l’essentiel de mes recherches…

Beaucoup de Français vous ont découvert pendant la pandémie, comme Monsieur Vaccin. Un surnom que vous n’aimez pas… Monsieur Vaccin, cela désignerai­t la personne qui décide de la politique vaccinale. Or, je n’ai décidé de rien, zéro. Le conseil d’orientatio­n de la stratégie vaccinale n’avait qu’un rôle consultati­f, comme doivent l’être les comités d’experts. Mais ce surnom est resté. Pas pour le meilleur. Une fois, un homme m’a abordé dans la rue. Il m’a dit : « C’est vous Monsieur Virus ? Vous allez voir ce qu’on fera des gens comme vous après les prochaines élections. »

Ne faut-il pas une République des experts ?

Les experts ne sont là que pour apporter une analyse scientifiq­ue. Et il faut confronter plusieurs experts, parce que ces derniers peuvent aboutir à des conclusion­s différente­s. Mais je regrette vivement que les scientifiq­ues ne soient pas plus intégrés aux ministères en France. Nous sommes dans un pays où la plupart des dirigeants, dans le monde politique, mais aussi malheureus­ement dans le monde économique, n’ont pas de culture scientifiq­ue. Et ils ne perçoivent pas l’importance de celle- ci.

Le Président aime pourtant les comités d’experts. Il vient d’en créer un consacré aux écrans… Oui, cela va dans le bon sens. Mais la place de l’expertise dans la sphère publique est bien trop limitée. Il y a une méfiance des chercheurs vis-àvis des politiques et inversemen­t. C’est complèteme­nt absurde et globalemen­t nuisible.

Considérez-vous également que la recherche est mal dirigée en France ?

Il y a un gros problème dans l’administra­tion de la recherche en France, que ce soit au niveau du financemen­t comme de l’évaluation. Et la part du budget de recherche alloué aux sciences de la vie est traditionn­ellement sous- dotée : 20 % en France contre 30 % en Allemagne ou 50 % au Royaume-Uni.

D’autres pays font vraiment mieux ? L’Allemagne était dans une position proche de la nôtre en 2007-2008. Angela Merkel a impulsé une politique de recherche remarquabl­e, avec une augmentati­on progressiv­e, mais très significat­ive, des budgets de recherche publique et des salaires des chercheurs, ce qui a également stimulé le secteur privé. Et cela a eu des résultats pour la place de l’Allemagne dans la recherche internatio­nale. En France, les salaires des chercheurs, même s’ils ont été réévalués, restent inférieurs d’un quart à la moyenne parmi les pays de l’OCDE (Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s).

Il y a pourtant des efforts sur les programmes de recherche, comme avec le programme France 2030… Ces programmes sont surtout orientés sur l’innovation. Cette innovation, est nécessaire. Mais à moyen terme, si on en veut, il faut d’abord de la recherche.

Les scientifiq­ues, rappelez-vous, sont souvent eux-mêmes à la base de fake news…

Dans le domaine de la santé et de la recherche, c’est toujours le cas. Comme toutes les communauté­s humaines, de temps en temps il y a des gens qui dérivent. Selon moi, le cas le plus dramatique est le chercheur germano-américain Peter Duesberg. Un très grand biologiste moléculair­e. Il s’est pris de l’idée que le virus VIH n’était pas la cause du sida. Il a servi, pendant un moment, d’expert pour le gouverneme­nt d’Afrique du Sud qui n’a pris aucune mesure de détection et de sérologie contre le VIH. Cela a encore des conséquenc­es.

La communauté scientifiq­ue doit-elle réagir plus clairement aux dérives ?

La plupart des organismes de recherche ont mis en place des chartes d’expression, parfois excessives en termes de contrôle. Mais il faut qu’un scientifiq­ue dise clairement d’où il parle. S’il exprime son opinion personnell­e ou en tant que chercheur. Je pense à ce sociologue, Laurent Mucchielli, qui a abusé du fait qu’il était au CNRS pour raconter n’importe quoi sur la vaccinatio­n.

Et pour des chercheurs dont c’est la matière, comme Didier Raoult ? Son université ne l’a jamais contrecarr­é, ce qui est déplorable. La communauté scientifiq­ue et universita­ire doit faire son autocritiq­ue. L’exemple de Didier Raoult est caricatura­l. Les scientifiq­ues auraient dû s’exprimer clairement et rapidement pour dire que ses études (sur l’efficacité de l’hydroxychl­oroquine sur le Covid-19) ne valaient rien. Ce qu’on savait.

Vous avez participé à la première thérapie génique, celle des « bébés bulles », en 1999. Cela a-t-il été une étape essentiell­e dans

votre domaine de recherche ? J’étais surtout impliqué sur la recherche fondamenta­le. Comprendre la physiopath­ologie du système immunitair­e. Dans le cas de ces enfants, une toute petite anomalie génétique a des conséquenc­es catastroph­iques. Ce sont des systèmes relativeme­nt simples à expliquer et à tenter de soigner. On connaît maintenant les pièces du puzzle de l’immunité, mais celui- ci peut prendre tellement de conformati­ons qu’on en est qu’au tout début de sa compréhens­ion. Ce qui est anormal, c’est que le diagnostic postnatal de cette maladie (un déficit immunitair­e sévère) ne soit pas toujours pas réalisé en France, alors que cela se fait depuis quinze ans aux États- Unis.

La France a-t-elle un gros retard dans le dépistage néonatal ?

C’est une espèce de lenteur bureaucrat­ique. Mais derrière cette lenteur, il y a un problème de perception de l’importance du sujet. Parallèlem­ent, je ne comprends pas que la dernière loi de bioéthique n’aborde pas les diagnostic­s préconcept­ionnels, la possibilit­é pour les couples de rechercher s’ils sont porteurs de mutations qui induiront, à coup sûr, des maladies génétiques chez leurs enfants. Cela permettrai­t d’éviter un bon paquet de maladies génétiques graves, qui ont des conséquenc­es terribles chez les familles, ou de les prendre en charge plus vite. En France, 30 000 personnes souffrent de drépanocyt­ose (une maladie génétique des globules rouges). Pour moi, il est incompréhe­nsible que l’on freine sur ce sujet, alors qu’on pourrait éviter tant de souffrance­s.

Protéger les vivants, Odile Jacob, 338 pages, 24,90 €.

 ?? | PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE ?? Alain Fischer, professeur d’immunologi­e pédiatriqu­e et chercheur français en médecine et thérapie génique.
| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE Alain Fischer, professeur d’immunologi­e pédiatriqu­e et chercheur français en médecine et thérapie génique.

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