Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Mentir, c’est son métier » : la victime
Entre juin 2021 et avril 2022, Alice (1) a hébergé, à Vannes (Morbihan), un homme se présentant comme un officier britannique retraité. Tout était faux. Elle explique comment le piège s’est refermé sur elle.
Son dossier fait quatre centimètres d’épaisseur. Alice le connaît sur le bout des doigts. Voilà un an et demi que cette habitante de Vannes (Morbihan) rumine son histoire, avec la volonté de la coucher sur le papier. Elle a été l’une des nombreuses victimes d’Alain Jollois, interpellé à Vannes en avril 2022.
Cet homme de 59 ans, connu pour s’être fait passer pour un lord écossais, également agent secret de la Couronne anglaise, ne cesse de défrayer la chronique en France. L’homme fascine autant que ses mensonges, aux conséquences parfois dramatiques. Des émissions sur Radio France, une double page dans Le Monde, Libération, Sud- Ouest et même un sketch de l’humoriste Thomas VDB retracent ses nombreux et extravagants « exploits ».
Ceux- ci sont aussi consultables sur sa page Wikipédia, richement documentée. Il est Daniel Goldenberg pour les uns, Alan Mac Gregor pour les autres ou encore Lord Andrew Alan Itzac Fraser of Lovat pour Alice. Un patronyme bien plus épatant qu’Alain Jollois, qui n’est pas né le 23 janvier 1964 dans les Highlands, mais dans les Yvelines, à Saint- Germain- enLaye. Moins original.
Son pseudo ? Andrew Cole
Ses escroqueries de jeunesse lui ont valu quelques escales en prison. À Chinon (Indre- et- Loire), on attend encore Spielberg pour un tournage. À Périgueux (Dordogne) ? C’est Julia Roberts qui aurait fait faux bond. Du côté de Paris, c’est un agent immobilier qu’il a escroqué. Dans ces villes, son nom est passé à la postérité et son casier judiciaire s’y est étoffé. On lui connaît au moins cinq condamnations pour escroquerie et filouterie, dont plusieurs peines de prison ferme. Il a appris depuis. À Rennes (Illeet-Vilaine) ou Vannes, villes de ses derniers passages connus, il n’aurait, selon nos informations, pas franchi les limites de la légalité.
Son périple vannetais aura duré dix mois. De juin 2021 au 21 avril 2022, date de son interpellation par la police au domicile familial d’Alice. Elle le rencontre en avril 2021 via un site, alors qu’elle habite encore Paris. « Il avait écrit être officier retraité de l’armée britannique. » Son pseudo ? Andrew Cole. « Après quinze minutes d’échanges, il m’a dit qu’il s’appelait en fait Andrew Alan Itzac Fraser of Lovat et m’a abreuvée d’informations toute la matinée. »
« Il y a toujours un loup »
Les échanges suivants sont plus laborieux. Il marque toutefois des points. « Il faisait du bénévolat pour les migrants, comme moi, et écrivait bien. » L’homme n’est pourtant pas du tout son style. « Ce n’est pas sur ses photos que j’ai craqué. » Le faux lord ne lui laisse aucun répit. Il l’inonde de messages sur sa fausse vie. La guerre, ses missions d’agent du MI6 (le service de renseignement britannique)… « Je suis séduite, reconnaîtelle. Il a un truc hypnotique. Je n’arrivais pas à couper court alors qu’il me saoulait. » Les échanges s’intensifient. Il dit vouloir l’emmener aux funérailles du Prince Philip. « Son aide de camp John m’a alors contactée pour organiser le voyage. » Le piège se referme sur Alice qui ignore que John est un personnage fictif.
Leur histoire n’a pas démarré qu’elle est déjà rocambolesque. Un avion doit venir chercher Alice et une famille albanaise installée à Rennes. Le voyage est reporté, encore et encore. « Il y a toujours un loup. » Et le dernier est de taille. Le lord écossais serait à l’hôpital après un malaise. Quand Alice perçoit un premier mensonge, elle est rapidement remise sur les rails par le fictif aide de camp. « Il m’a dit que j’étais sur écoute. J’ai pris peur et je me suis excusée de ma paranoïa. » Son prétendant se rétablit et ses messages se multiplient. « Petit à petit, il s’est incrusté dans mon quotidien. »
« Il s’est incrusté dans mon quotidien »
Le petit manège dure jusqu’en mai. Elle l’attend à sa sortie de l’hôpital. « Je vois arriver un mec avec de grands sacs de course. J’ai eu un gros moment de solitude. Il n’avait pas le comportement d’un type qui sort d’hospitalisation. » Sa méfiance est vite balayée, malgré l’absence d’accent écossais du lord. Leurs premiers moments ensemble ? « Il est sympa et surtout intéressant. » Alice est sous le charme.
Dès juin, elle l’embarque à Vannes (Morbihan) pour sa convalescence. Direction la maison de famille où il pose ses valises. « Je faisais les allers-retours entre Paris et Vannes, se remémore-t- elle. Je ne m’ennuyais jamais. Il prenait beaucoup de place