Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

À Saint- Gilles-Pligeaux, paysans et ex-

Reportage. Au coeur de la Bretagne avicole, cette commune de 305 âmes accueille une nouvelle population venue de la ville qui cohabite avec quatorze agriculteu­rs.

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Dans la campagne centre bretonne qui commence à refleurir, la petite voiture avale sans à- coup les virages serrés, sur la route étroite bordée de champs et de fermes coquettes. Au volant, Gildas Guyader. De ce paysage, où le trait d’horizon se fond dans les cultures, le maire de Saint- GillesPlig­eaux (Côtes- d’Armor) connaît tous les chemins dérobés et les habitants, même les nouveaux venus.

Cet enfant du pays a grandi et travaillé dans cette commune de 305 habitants, à mi- chemin entre Saint- Brieuc (Côtes- d’Armor) et Carhaix (Finistère), où la pauvreté de la terre a poussé très tôt les paysans à « se reconverti­r dans la poule pondeuse. Ici, c’est ce qu’on appelle une terre à… lapins, comme autour des monts d’Arrée ».

L’agriculteu­r retraité « a la nostalgie » des années 1970, quand SaintGille­s-Pligeaux comptait 60 à 70 paysans et que la communauté de communes du Kreiz Breizh (Centre-Bretagne) affichait près de 3 500 exploitati­ons. « C’était l’époque où les gens se gueulaient dessus un bon coup et se serraient la main le lendemain. Ils étaient solidaires. »

« Une marcheuse m’a engueulé parce que les vaches beuglaient »

Un demi-siècle plus tard, le déclin de l’agricultur­e n’a pas épargné le Kreiz Breizh qui a perdu 20 % de ses exploitati­ons en dix ans (651 en 2020 contre 828 en 2010). Mais dans les Côtes- d’Armor, championne­s françaises de la production de volailles de ponte (19 millions de « têtes ») , le territoire reste un temple avicole où la filière crée plus d’un millier d’emplois (équivalent­s temps plein). Saint- Gilles compte encore quatorze agriculteu­rs, essentiell­ement des producteur­s convention­nels de poules pondeuses et des éleveurs laitiers, dont plusieurs trentenair­es et quadragéna­ires reconverti­s.

Cette nouvelle génération doit désormais composer avec les néoruraux venus s’installer après la pandémie de Covid-19, attirés par la qualité de vie et les prix de l’immobilier plus attractifs qu’en ville. Le hic ? Ils seraient de plus en plus nombreux à méconnaîtr­e le travail des agriculteu­rs qu’ils n’hésitent pourtant pas à conspuer.

« On n’est pas connecté pareil, soupire André Le Coënt, éleveur retraité de poulettes. L’autre jour, une marcheuse m’a engueulé parce que les vaches beuglaient. Elle croyait qu’elles avaient un problème alors qu’elles étaient juste contentes de changer de pâture. Une autre fois, une dame m’a demandé comment les poussins tétaient. »

Petit-fils et fils d’agriculteu­rs, le septuagéna­ire a fait toute sa carrière à une époque où l’agribashin­g (dénigremen­t systématiq­ue du monde agricole) n’existait pas encore. Son fils Kevin, 30 ans, qui a repris l’élevage de poulettes en bio et en convention­nel, n’aurait pas voulu travailler en « ville, cette machine infernale », pour tout l’or du monde. À Saint- Gilles- Pligeaux, il a résolu la question.

« Pas de TikTok, pas de Facebook, pas de réseaux sociaux. La paix pour m’occuper de mes animaux. C’est plaisant, je les vois grandir, dit Kevin. Aujourd’hui, les gens n’acceptent plus rien. Les chiens qui aboient, le coq qui chante, les arbres qu’on coupe… Ils vont se plaindre sur les réseaux sociaux. Ça va trop vite, ce n’est plus maîtrisabl­e et le gros défaut des agriculteu­rs, c’est que nous n’avons pas le temps de communique­r. Et encore, à SaintGille­s-Pligeaux, on a de la chance. Les gens sont compréhens­ifs, on n’a pas d’associatio­n anti-tout. »

« La nouvelle population nous a amené une vision de l’extérieur »

Il n’empêche… Maintenir la cohésion sociale dans une société polarisée à l’extrême, dont les fractures sont désormais perceptibl­es à SaintGille­s- Pligeaux, reste un sport de haute lutte pour la municipali­té. En première ligne, le maire – « Gildas » comme on l’appelle ici – qui pourrait écrire un roman sur la question.

Récemment, l’élu a dû calmer un administré très énervé parce que son voisin « a fait souffrir le talus » en réaménagea­nt l’entrée de son champ. Une autre fois, il a dû expliquer à quoi servait un pulvérisat­eur. ll a aussi raisonné une militante bio entrée dans une parcelle pour prendre d’assaut un tracteur parce qu’elle ne supportait pas que l’agriculteu­r travaille dans ses champs. « Il a pris sur lui mais ça aurait pu mal finir. Cette personne a fini par quitter la commune. »

Le maire doit enfin régulièrem­ent déminer et expliquer à ses voisins opposés à la coupe des arbres qu’il ne peut pas empêcher untel ou untel de « faire du bois ». Dernièreme­nt, il a même dû rappeler à l’ordre un propriétai­re réticent à élaguer sa haie, pourtant située sur le circuit de la fibre optique tant attendue.

« Parfois, on me rentre dans le lard. » Au final, « Gildas » oppose toujours son bon sens paysan, un langage que tout le monde comprend, ici. « Tu ne peux pas demander la fibre et ne rien faire pour l’avoir. » Expliquer, expliquer et expliquer encore. La méthode maintes fois éprouvée à Saint- Gilles- Pligeaux, championne de la démographi­e dans la communauté de communes avec une population en hausse, serait- elle le secret d’une cohabitati­on avec les néoruraux jugée réussie par plusieurs agriculteu­rs ?

« La nouvelle population nous a amené une vision de l’extérieur et c’est formidable », apprécie Gildas Guyader, fervent défenseur de l’école, ce regroupeme­nt pédagogiqu­e intercommu­nal (RPI) entre Saint- Connan, Kerpert et Saint- Gilles- Pligeaux, « où les parents se côtoient et c’est un lien énorme ».

« J’ai fait le tour des maisons pour que les gens rentrent leurs poules »

De fin janvier à fin mai 2023, cette cohabitati­on a subi l’épreuve du feu de la grippe aviaire, responsabl­e de l’abattage de 1,4 million d’animaux dans le départemen­t des Côtesd’Armor. En quelques jours, une vingtaine d’élevages et soixante communes ont été mis sous cloche autour

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Gildas Guyader (au centre), maire de Saint-Gilles-Pligeaux, une commune de 305 habitants Charles et Claudine Caumon, un couple, qui vivait dans la banlieue francilien­ne.
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| PHOTO : OUEST-FRANCE Vincent Le Provost, éleveur laitier à Saint-Gilles-Pligeaux. Cet ingénieur, ancien directeur d’usine, a repris l’élevage de son beau-père .

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