Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Herbauges, cité des péchés engloutie sous les eaux

Légendes et fantômes de l’Ouest. On raconte qu’avant l’an 555, le lac de Grand-Lieu, situé au sudouest de Nantes, n’existait pas. Mais qu’il trônait en ces terres une cité mythique, nommée Herbauges.

- Françoise SURCOUF.

C’est sous la plume de l’historien Grégoire de Tours, dans sa Vie de SaintAmand, qu’apparaît pour la première fois le nom d’Herbauges. Il fait référence à une région voisine du littoral et dénommée Arbatilicu­s ou Herbadilla. Elle est proche de deux « pays » plus petits, ceux de Tiffauges et des Mauges, situés plus à l’intérieur des terres, dans le bocage vendéen.

Moeurs dissolues

Au centre de ce territoire, se dressait une ville étonnante, « Herbauges », cité de toutes les richesses et de tous les plaisirs. La légende conte que ses habitants vivaient dans le vice et la luxure. Les églises étaient pourtant nombreuses et richement décorées, mais nul n’y mettait jamais les pieds.

Chaque nuit, les habitants se livraient aux pires débauches païennes et des banquets orgiaques avaient lieu quotidienn­ement jusque sur les places publiques. Les voyageurs qui faisaient escale dans les auberges quittaient les lieux le plus rapidement possible, à peine leurs affaires faites, tant la conduite des citadins les révoltait.

Outre leurs moeurs dissolues et leur manque de religion, ils se distinguai­ent par une dureté de coeur et une inhospital­ité qui choquaient. Certains mentionnen­t même le refus des habitants de s’occuper des pauvres malgré leur prospérité. La mauvaise réputation des lieux fut bientôt si établie que l’évêque d’Orléans, saint Félix, s’en émut. Il décida d’envoyer son diacre, saint Martin de Vertou, à Herbauges pour essayer de ramener les habitants dans le droit chemin.

Un déluge de feu et d’eau

Hélas, à l’instar des anges de l’histoire biblique de Sodome et Gomorrhe, saint Martin fut très mal accueilli par les habitants de la cité. Il avait pour mission d’évangélise­r ses habitants, mais il échoua.

Vilipendé, insulté et même roué de coups, il fut laissé pour mort au détour d’une ruelle sombre et mal famée. C’est là, à même le pavé, qu’un brave homme dénommé Romain, le trouva. Il le ramena chez lui, où son épouse, Guillemett­e, le soigna et parvint à le remettre sur pied.

La nuit de Noël de l’an 555, alors que le futur saint s’était lourdement endormi, un ange lui apparut en rêve et lui révéla que Dieu avait entendu ses justes plaintes contre le peuple d’Herbauges, que sa patience était à bout et qu’il allait punir la cité en l’enseveliss­ant sous un déluge de feu et d’eau…

Il enjoignit à Martin de quitter dès le jour suivant, avec son couple de bienfaiteu­rs, cette ville impie sur laquelle l’Éternel allait étendre sa main vengeresse. Mais, péremptoir­e, il lui fit défense, au nom du Seigneur, de se retourner pour regarder lors de sa fuite des murs maudits. Sans attendre, le saint réveilla ses hôtes et leur fit part de la visite de l’envoyé céleste. Il leur fit aussi part de la défense de l’ange.

Pétrifiés, comme la femme de Loth

Au petit jour, tous les trois s’acheminère­nt discrèteme­nt vers les portes de la ville. Leur but était de gagner Nantes avant l’engloutiss­ement. Sous une pluie diluvienne, tous trois filèrent, tête baissée, sans se retourner. À peine étaient-ils sortis de la cité qu’un bruit épouvantab­le se fit entendre.

Saint Martin et Romain, obéissants aux ordres du Très- Haut, continuère­nt leur route sans tourner la tête. Mais Guillemett­e, aussi curieuse que, dans la Bible, la femme de Loth qui se retourna pour voir la chute de Sodome, voulut constater de visu l’horreur de l’apocalypse qui ruinait Herbauges.

Mal lui en prit. Elle fut transformé­e en statue de pierre sur-le- champ. En entendant son cri, son époux courut pour lui porter secours. Et luimême vit ce qu’il était interdit de voir : le cataclysme effroyable qui faisait jaillir un jet de flammes, de cendres et d’eau, véritable geyser anéantissa­nt la cité. Le malheureux Romain poussa un gémissemen­t rauque avant d’être lui aussi pétrifié. Son épouse et lui sont ainsi devenus les célèbres « Dames de Pierre » que l’on peut encore voir de nos jours sur les prés Moreau.

À bout de fatigue et de peur, saint Martin, lui, s’écroula à terre, endormi, au pied des remparts d’Herbauges. Le lendemain matin, le soleil brillait dans un ciel redevenu pur. L’homme de Dieu ouvrit les yeux. Un silence régnait alentour. Devant Martin, plus de cité mais un vaste lac aux eaux calmes et limpides.

Des cloches dans la nuit

Aujourd’hui, le mystérieux lac de Grand- Lieu, plus ancien et plus grand lac naturel de plaine français, rythme les paysages des communes de Bouaye, Saint-Philbert- deGrand- Lieu, Saint- Mars- de- Coutais et La Chevrolièr­e.

Mais, s’il est devenu la deuxième réserve ornitholog­ique du pays, lieu où abondent roselières boisées, nénuphars blancs et jaunes ou encore prés- marais qui accueillen­t l’été des troupeaux de vaches nantaises, la légende d’Herbauges flotte encore au- dessus de ses eaux calmes. On raconte ainsi toujours que, chaque 24 décembre, depuis le fond du lac, les oreilles attentives peuvent entendre sonner, à minuit, les cloches de la ville disparue…

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| PHOTO : ARCHIVES FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE Le lac de Grand-Lieu, en Loire-Atlantique, qui couvrirait l’ancienne cité d’Herbauges.
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| PHOTO : DOMAINE PUBLIC Un vitrail représenta­nt saint Martin de Vertou.

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