Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Malgré les risques, les Russes pleurent Navalny
Le Kremlin a tout tenté pour rendre invisible le principal opposant de Vladimir Poutine, en vain : il comptait plus que prévu pour nombre de Russes, qui disent leur peine.
« Il vient de se sacrifier pour nous, y penser me rend folle », écrit Eva sur Vkontakte, réseau social russe. La jeune femme, comme la majorité des internautes, n’ose pas citer Alexeï Navalny. Mais sur les réseaux sociaux, les publications en hommage à l’ancien candidat à la présidentielle, déclaré mort vendredi par les autorités russes, se comptent par milliers. Pourtant, depuis sa qualification « d’extrémiste » par la justice russe, l’opposant, incarcéré depuis 2021, était devenu infréquentable.
Le dernier espoir d’une alternative
Son décès a pourtant déclenché des rassemblements spontanés à travers toute la Russie dès vendredi. Plusieurs centaines de Russes ont déposé des fleurs dans le centre de grandes villes du pays, près des monuments dédiés aux victimes de la répression politique de l’Union soviétique. À Moscou, ces Russes en deuil ont pris le risque de se rassembler à proximité de la Loubianka, le siège des services de renseignement. Près de 300 personnes ont été arrêtées dans trente et une villes du pays depuis vendredi.
La persistance de Navalny à résister au pouvoir de Vladimir Poutine malgré les atteintes à sa liberté, à sa santé, à revenir même en Russie en 2021 après avoir échappé de justesse à la mort par empoisonnement en 2020, a fait de lui un symbole. Celui d’un espoir qu’une dernière alternative politique à la dictature pouvait exister. « C’est une sorte d’horreur, mon sentiment c’est qu’il ne reste plus rien de bon et qu’il ne se passera plus rien de positif en Russie », confiait Ksenia, sur Vkontakte au lendemain de sa mort.
Les télévisions d’État elles-mêmes ont trahi l’aura réelle de Navalny et les craintes qu’il suscitait au Kremlin. Plutôt que de cacher son décès, les journaux en ont fait état à plusieurs reprises, brièvement. Ces médias ont relayé la thèse diffusée par les services pénitentiaires d’une mort naturelle, tout en utilisant les dénonciations occidentales comme une preuve des liens d’Alexeï Navalny avec l’Occident.
Comme à chaque mort d’opposant, les voix du Kremlin étaient d’un cynisme glaçant. Le ministère des Affaires étrangères a feint de ne pas comprendre les accusations de meurtre adressées par les chefs d’États occidentaux au président russe. D’après Andreï Kolesnikov, journaliste du quotidien Kommersant chargé de suivre Vladimir Poutine au jour le jour, le président russe aurait affir
mé, une fois encore avec tout le cynisme du monde, « tenir bon à la suite de l’annonce de ce décès ».
Comme un ultime affront, le Kremlin cachait encore hier soir le corps
d’Alexeï Navalny, empêchant ses proches de le pleurer et de connaître les causes de sa mort.